Nuit debout : la pensée de Frédéric Lordon en trois questions
Nuit debout : la pensée de Frédéric Lordon en trois questions
Par Violaine Morin
L’économiste et philosophe qui est l’un des initiateurs de Nuit debout fait partie du courant « hétérodoxe » en économie, qui critique les fondamentaux du néolibéralisme.
Sur la place de la République, à Paris, le 20 avril. | JACKY NAEGELEN/REUTERS
L’économiste et philosophe Frédéric Lordon se montre peu place de la République, à Paris, mais chacune de ses interventions est très applaudie. Celui qui revendique le caractère « politique » de Nuit debout et fustige les médias qui voudraient que le rassemblement se contente d’une « animation citoyenne » est l’auteur de nombreux ouvrages. Ses premiers livres s’attaquaient à la finance dérégulée et mondialisée, et l’ont fait connaître autour de la crise des subprimes (voir entre autres Jusqu’à quand ? Pour en finir avec les crises financières, Raisons d’agir, 2008). Voici quelques axes qui ressortent de la lecture de ses livres.
- La sortie de l’euro
Pour Frédéric Lordon, les traités européens ont ôté aux Etats de la zone euro toute souveraineté économique en les privant de la maîtrise de la politique monétaire et en plaçant leurs politiques budgétaires sous la surveillance des institutions européennes et des marchés financiers. Selon lui, l’Union européenne ne peut être transformée en profondeur car, en l’absence de peuple européen, la souveraineté populaire ne peut s’y exercer.
Dans La Malfaçon, monnaie européenne et souveraineté démocratique (Les Liens qui libèrent, 2014), il propose un changement radical qui implique le défaut de l’Etat sur sa dette, la sortie de la monnaie unique, la prise de contrôle des banques en faillite par la puissance publique et la régulation des échanges avec l’étranger.
- Le « souverainisme de gauche »
Pour retrouver la souveraineté populaire, il faut donc, selon M. Lordon, revenir aux Etats. Un point de vue qui ne fait pas l’unanimité dans la gauche critique où certains demeurent attachés à l’idéal européen et internationaliste.
Le « souverainisme » appartient au vocabulaire de la droite, mais pour Frédéric Lordon la gauche doit s’en ressaisir et définir une protection des économies nationales qui ne soit pas fondée sur un repli sur soi. Le souverainisme de gauche est un souverainisme solidaire, puisqu’il prône la régularisation de tous les sans-papiers en Europe. Mais « le sang bleu évadé fiscal, dehors ! », avance-t-il dans son ouvrage La Malfaçon (p. 237).
- La reprise en main de la souveraineté démocratique
Pour l’économiste philosophe, l’horizontalité de Nuit debout est une illusion, car les individus rassemblés dans un groupe tendent toujours à recréer un pouvoir qui les dépasse et auquel ils sont soumis. Nuit debout serait déjà en train de « recréer des institutions » car elle organise des assemblées générales (AG) et des commissions.
Le fait qu’un mouvement soit horizontal, d’ailleurs, ne dit rien du bien-fondé de sa cause, explique-t-il dans Imperium, structures et affects des corps politiques (La Fabrique, 2015), en donnant l’exemple de La Manif pour tous, dont il dénonce le caractère homophobe (p. 213).
Mais même si les groupes tendent toujours à recomposer des pouvoirs « verticaux », Frédéric Lordon propose de garder à l’esprit l’idéal du « communisme de la raison », pour permettre de travailler à des institutions plus justes. Dans Imperium, il propose par exemple de réfléchir à des systèmes de délibération locale et à l’instauration du mandat impératif (un individu est élu pour mener des projets prédéfinis, par opposition au mandat représentatif, en usage en France).
Dans le même sens, il a évoqué, dans un débat organisé le 14 avril à la Bourse du travail, le fait que Nuit debout puisse se doter d’un porte-parole sans craindre la « captation » du pouvoir, si celui-ci est « mandaté et révocable ».