Christine Lazerges : « La France prend conscience qu’elle est multiculturelle »
Christine Lazerges : « La France prend conscience qu’elle est multiculturelle »
Propos recueillis par Maryline Baumard
La présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’homme commente le rapport qui montre une augmentation de la tolérance en France.
Christine Lazerges, le 24 septembre 2012. | PIERRE VERDY/AFP
Christine Lazerges préside la Commission nationale consultative des droits de l’homme, une instance aussi officielle qu’indépendante qui observe comment la France agit en la matière et offre ses conseils et recommandations pour être plus en phase avec les engagements internationaux du pays.
2015 aura été une étrange année. D’un côté la France a été ensanglantée comme jamais par les attentats, de l’autre vous nous dites que le taux de tolérance a monté. N’est-ce pas paradoxal ?
Christine Lazerges. C’est en effet paradoxal et très intéressant à analyser. Le message sous-jacent est fort, puisque face à l’atrocité du terrorisme les citoyens aspirent au réconfort dans la cohésion nationale. Ils comprennent, au lendemain du 7 janvier et du 13 novembre, que la clé réside dans le mieux vivre ensemble. La France est en train de prendre vraiment conscience qu’elle est une nation multiculturelle ; qu’il faut arrêter de subir cette réalité et en faire réellement quelque chose de positif ; car c’est une véritable chance pour le pays.
Sur quoi appuyez-vous cet optimisme ?
Il suffit de lire les travaux de chercheurs. L’enquête Trajectoire, menée par l’INED [Institut national d’études démographique] donne des réponses-clés. Un grand nombre de chercheurs ont suivi les parcours de migrants et de leurs enfants sur le long terme. Les résultats de leurs travaux montrent clairement, par exemple, la montée des mariages mixtes interreligieux et interorigine géographique. C’est un vrai changement ! Leurs résultats pointent aussi combien nombreux sont les enfants d’immigrés se sentant viscéralement français. Là encore, c’est intéressant… même si ceux qu’on peut appeler les « Français d’origine » les renvoient trop souvent à leurs origines et à l’histoire de leur famille.
Quelles conséquences tirez-vous des résultats de l’enquête 2015 de la CNCDH, que vous présidez ?
Si l’on veut accélérer le processus, il faut apaiser plus encore la société. La CNCDH, qui a beaucoup travaillé le sujet des contrôles au faciès aux effets désastreux pour la cohésion sociale, estime qu’il faut tout faire pour les limiter jusqu’à la remise d’un récépissé à toute personne contrôlée. Nous rappelons dans notre rapport que d’autres pays l’ont fait sans mettre en péril leur sécurité. Cela n’a l’air de rien, mais en termes de cohésion sociale, c’est très important. On ne peut plus tolérer que des personnes qui se considèrent comme profondément françaises soient sans cesse suspectées. Il est capital d’améliorer les rapports de confiance entre les forces de sécurité et la population.
Sous le racisme, l’islamophobe et l’antisémitisme, que vous étudiez, il y a les religions… et la fameuse « laïcité à la française » qui fait tellement débat. Est-ce un levier sur lequel il faut agir pour que monte encore l’indice de tolérance ?
Bien sûr ! Nous recommandons vivement que le débat sur le sujet soit, là encore, plus apaisé. Il est très grave qu’on laisse penser qu’il subsiste deux visions de la laïcité à l’intérieur même du gouvernement. Le principe de laïcité tel que défini par la loi de 1905 est un principe de liberté, de liberté de conscience, seule la neutralité de l’Etat est exigée. La loi de séparation des Eglises et de l’Etat n’est pas un texte d’interdiction, comme certains aimeraient à le faire croire. Ce débat et le pluralisme religieux en France prouvent qu’il faudrait dès l’école mieux enseigner le fait religieux dans son histoire et dans toutes ses déclinaisons.
L’école est effectivement aux yeux de la CNCDH le lieu capital où peut se construire une société plus apaisée. Mais on demande tellement à l’école…
Certes. Mais l’école ne doit pas seulement instruire, mais aussi éduquer et donc former le citoyen. C’est sa magnifique mission. D’ailleurs, nous ne demandons pas principalement l’introduction d’un enseignement supplémentaire, mais surtout de faire débattre les élèves, de leur proposer des projets de long terme constructifs d’un apprentissage de la richesse de la différence. Car on apprend la tolérance en la vivant. Il faut ouvrir des temps de débats, comme cela existe dans beaucoup de systèmes éducatifs, il ne faut plus avoir peur de ces débats. Et pour cela armons mieux les enseignants.
2015 a quand même montré une multiplication par trois des actes islamophobes. Comment est-ce compatible avec une montée de l’indice de tolérance ?
Que disent les statistiques ? Croit-on qu’il y a plus de viols dans les pays du Nord que dans les pays du Sud parce que les plaintes y sont plus nombreuses ? Non… les plaintes en matière de racisme ne sont que l’écume des choses. Il est probable qu, pour partie, les faits dénoncés augmentent parce que les victimes, et c’est heureux, sont plus sensibilisées et vont plus facilement au commissariat ; oui, la criminalité apparente monte, le phénomène doit être analysé sur le long terme. Comme les chercheurs nous le montrent, le ressort des actes racistes est très réactif. Nous observons ainsi dans nos statistiques que 58 % des actes antimusulmans ont eu lieu en janvier 2015 et en novembre 2015. Ce qui illustre bien que nous sommes dans un phénomène de réaction immédiate. Mais cela montre aussi qu’il faut combattre les préjugés par l’éducation pour éviter ces actes.
De toutes nos recommandations, la plus importante est l’idée qu’il faut encore faire évoluer les regards sur la diversité. Comme le dit si bien Amin Maalouf : « C’est notre regard qui enferme souvent les autres dans leurs étroites appartenances, et c’est notre regard aussi qui peut les libérer. »