Le Marrakech du rire, l’une des vitrines du Jamel Comedy club
Le Marrakech du rire, l’une des vitrines du Jamel Comedy club
Propos recueillis par Sandrine Blanchard (Marrakech, envoyée spéciale)
Le festival international d’humour se tient jusqu’au 5 juin au Maroc. Rencontre avec Jean-Michel Joyeau, directeur artistique et de casting du Jamel comedy club.
La scène du festival international d’humour, le Marrakech du rire. | Sandrine Blanchard/Le Monde
Difficile de parler du Marrakech du rire sans se pencher sur le Jamel Comedy club (JCC). Nombreux sont les artistes issus de cette « école » du stand up à participer à ce festival international d’humour, dont la sixième édition se tient jusqu’à dimanche 5 juin dans la ville rose marocaine. Au cœur de ce rapprochement : Jamel Debbouze, créateur du Comedy club en 2008 et du Marrakech du rire en 2011.
Qu’ils aient déjà acquis une certaine notoriété (comme Waly Dia) ou qu’ils aient remporté une scène ouverte (Wary Nichen) ; qu’ils viennent présenter leur premier seul en scène (comme Foudil Kaidou) ou qu’ils fassent partie des nouvelles recrues de la troupe du JCC (Fadily Camara) tous été repérés par l’équipe de Debjam Productions (la société de production de Jamel Debbouze). Depuis dix ans, Jean-Michel Joyeau, directeur artistique et de casting pour les scènes ouvertes du Comedy club, participe au recrutement de jeunes talents dont certains ont la chance de gagner cette belle échappée sous le soleil marocain.
Comment faites-vous pour repérer d’éventuels futurs talents ?
Jean-Michel Joyeau : Il y a aujourd’hui tellement de lieux en France où des comiques se produisent, qu’il n’est plus possible de tous aller les voir. On reçoit désormais beaucoup de propositions par vidéo et, grâce aux réseaux sociaux, on en repère aussi sur Internet. Mais le Jamel Comedy club c’est aussi un esprit de troupe. Un peu, très modestement, comme une « comédie française du rire ». Il faut donc, indépendamment du talent, avoir envie d’entrer dans une troupe. Nous recevons énormément de demandes. Pour faire partie de la maison, il y a un chemin obligatoire : après la sélection sur dossier, ceux qui sont retenus jouent les mardis à notre scène ouverte. A l’issue d’un ou deux passages, ils restent ou pas (un peu comme dans The Voice) et, ceux qui font toute la saison ont une chance d’être retenus pour la prochaine. Au fil du temps, nous choisissons les sept nouveaux qui entreront dans la troupe qui, elle, se produit le week-end. Deux d’entre eux iront ensuite au Marrakech du rire et deux dans l’émission du JCC sur Canal+. Le JCC est un tremplin qui a révélé des artistes tels que Fabrice Eboué, Claudia Tagbo ou Thomas Ngijol.
Pourquoi y a -t-il de plus en plus de candidats à l’humour, d’où vient cet engouement ?
Le Jamel Comedy club c’est uniquement du stand up. C’est l’humour à l’américaine. Il y a quelques années, le stand up était beaucoup moins commun en France que le one-man-show avec des personnages incarnés. Dès l’instant où Jamel a monté son Comedy club, beaucoup de jeunes de banlieue ont voulu faire de l’humour à la première personne en espérant devenir célèbres. Il s’est passé dans l’humour le même phénomène d’engouement que pour la chanson avec les émissions de télécrochet (Nouvelle star, Star academy, The Voice). Et je suis surpris de voir le nombre de très jeunes qui veulent tenter leur chance. Tellement jeunes, que Jamel va créer un Jamel Comedy kids.
Une sorte de version moderne de l’« école des fans » ?
Exactement ! C’est le gros projet de la rentrée. Un comedy club pour les enfants qui, notamment, imiteront leurs idoles.
Pour le Jamel Comedy club, sur quels critères recrutez-vous ?
D’abord il faut que ce soit drôle, évidemment ! Mais il faut aussi une dimension de comédien et du charisme. Nous privilégions ceux qui sont auteurs de leurs propres textes. Ils doivent monter sur scène pour livrer un regard humoristique sur la société.
Qui sont ces jeunes qui viennent à vous ?
Beaucoup viennent de banlieue, sont fans de Jamel et rêvent de sa carrière. Plus de la moitié sont d’origine maghrébine. On caste dans toute la France. Waly Dia, par exemple, vient de Nantes. Mais cet univers de stand up est très masculin, nous n’avons que 10 % de filles car elles font surtout du one-woman-show.
Quels sont les sujets de prédilection de tous ces jeunes humoristes ?
Ils évoquent tous leur double origine, leur double culture. Ils rient d’eux-mêmes, de leur famille, du bled. Puis ils portent un regard sur la société, peuvent parler de l’actualité – comme le mariage pour tous –, mais abordent très peu la politique. La question du racisme au quotidien revient aussi souvent : les contrôles dans la rue, le métro. Ils le vivent, ils en parlent. Ensuite, s’ils ont du talent, on affine. Car l’avantage de cette troupe est qu’ils sont sélectionnés pour leur individualité, leur talent mais qu’ils se rencontrent aussi pour écrire ensemble. Ce qui manque souvent cruellement, c’est la qualité des textes. Certains ont du charisme mais ne parviennent pas à écrire et il faut trouver un auteur avec lequel il y a un feeling mutuel, des affinités.
Quel impact ont eu les attentats sur ce qui se dit sur scène ?
Il a fallu quelques mois, pour « digérer » un tel choc. Ils commencent à en parler seulement maintenant.
Le Jamel Comedy club est parfois critiqué pour son humour communautaire…
On y fait très attention. Comme il le dit en rigolant Jamel, il ne faut pas que ce soit le « Halal Comedy club ». Et ça ne l’est pas.
Quelles sont vos dernières découvertes ou coups de cœur ?
Nos gagnants de la scène ouverte : Wary Nichen et Haroun. Mais aussi Fadily Camara, qui a des origines marocaines et sénégalaises. Sur une centaine de jeunes vus dans l’année, si on en trouve deux ou trois sur une saison sur lesquels on peut miser c’est déjà merveilleux. Le top c’est lorsqu’ils intègrent le gala du Marrakech du rire. Et le top du top c’est le solo, se produire seul pendant une heure. Comme Waly Dia, Malik Bentalha, Younès et Bambi, Foudil Kaidou qui ont leur spectacle, au Comedy club ou ailleurs, et sont produits par Jamel.
Le public du Jamel comedy club est-il toujours le même qu’au début ?
Non. Les premières années, nous avions beaucoup de jeunes de banlieue de toutes origines, assez excités dans la salle, car ils n’avaient pas l’habitude de sortir dans des lieux de spectacle. C’était un peu la colonie de vacances, la première année a été assez folklorique. Au fil du temps, avec la création de l’émission du JCC sur Canal+, le public de la troupe du week-end est devenu le public de Canal, plus « blanc » avec une moyenne d’âge plus élevée.
Il y a aujourd’hui une concurrence des scènes ouvertes à Paris, avec notamment celle du Paname…
Il y a une grande concurrence ! C’est le jeu. Mais nous avons fait partie des premiers.
Jeudi 2 juin au Marrakech du rire, Hamza Alakhir, 23 ans, a remporté la scène marocaine des jeunes talents. Que lui apporte ce prix ?
Il va pouvoir tourner à l’étranger, dans les festivals partenaires du Marrakech du rire : Morges en Suisse, Liège en Belgique mais aussi au Québec et bien sûr à Paris au JCC. A cette liste devrait bientôt s’ajouter le festival Performance d’acteurs à Cannes.
À cette scène marocaine, s’ajoute cette année une scène africaine. Pourquoi ?
Lors de la tournée de son dernier spectacle, à l’occasion des premières parties, Jamel a rencontré beaucoup d’artistes en Afrique. Nous avons invité au Marrakech du rire les « petites » notoriétés ou les stars comme Michel Gohou qui vient de Côte d’Ivoire. À partir de l’année prochaine, cette scène africaine deviendra un gala filmé pour Canal+ Afrique.