Loi Sapin 2 : « Le lobbying doit œuvrer à faire respirer la vie démocratique »
Loi Sapin 2 : « Le lobbying doit œuvrer à faire respirer la vie démocratique »
Par Laurent Mazille (Président de l’Association professionnelle des responsables des relations avec les pouvoirs publics) et Fabrice Alexandre (Préside...
Les acteurs économiques peuvent aider, au travers du lobbying, à un meilleur processus décisionnel en France, à des lois plus en lien avec les réalités économiques et sociales, aboutissant ainsi à des décisions plus légitimes, moins contestées par les parties prenantes, expliquent Laurent Mazille, président de l’ARPP et Fabrice Alexandre, président de l’AFCL.
Par Laurent Mazille, président de l’Association professionnelle des responsables des relations avec les pouvoirs publics (ARPP) et Fabrice Alexandre, président de l’Association française des conseils en lobbying (AFCL)
L’Assemblée nationale examine ce mardi 7 juin le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, qui prévoit notamment d’encadrer, via la création d’un registre public, l’action des « représentants d’intérêts » : entreprises publiques ou privées, fédérations, associations, consultants, avocats, fondations, etc.
L’objectif affiché est de faire la transparence sur les échanges entre ces derniers et les décideurs publics, et de contribuer ainsi à restaurer la confiance de l’opinion.
Qu’il soit permis de douter que la transparence ainsi conçue, certes souhaitable et pratiquée par les professionnels que nous sommes, suffise seule à rétablir cette confiance : les institutions européennes ont mis en place, depuis des années, de telles mesures et sont sans doute bien plus transparentes dans leur fonctionnement que les institutions françaises. Pourtant, elles apparaissent aux yeux des citoyens européens toujours aussi opaques.
La tentation d’alourdir les contraintes
Ce qui frappe dans le débat en cours en France, c’est que la transparence n’est admise que comme la conséquence d’un cadre réglementaire de type administratif, et que la tentation d’alourdir les contraintes est forte : au lieu de mettre en place des dispositifs facilitant les échanges entre les pouvoirs publics et les parties prenantes (consultation en amont, concertation des parties prenantes sans exclusive, études d’impact dignes de ce nom, transparence des administrations sur la rédaction des décrets…), on se limite à un dispositif qui enregistre les dits représentants d’intérêts (en excluant les syndicats), on instaure un dispositif de contrôle lourd et contraignant pour eux seuls et on maintient la possibilité pour les pouvoirs publics de recevoir des personnes non inscrites sur le registre !
Or, l’actualité économique et sociale montre chaque jour combien les relations entre les représentants des divers intérêts présents dans la société et les décideurs publics sont nécessaires pour que les décisions prises soient adaptées aux réalités, mais aussi comprises et acceptées par les intéressés.
Le « lobbying » sert à cela. Il doit œuvrer, dans un cadre éthique solide tel que celui défini par les chartes de déontologie de nos associations depuis une trentaine d’années, à faire respirer la vie démocratique. Nous pensons qu’aujourd’hui, la France souffre non pas d’un excès de lobbying, mais d’un manque de dialogue organisé entre la société civile, le monde économique et les pouvoirs publics.
Les enjeux sont majeurs quand on considère la façon dont se fabrique la loi dans notre pays : un droit de qualité, c’est-à-dire inspirant la confiance des acteurs, efficace et cohérent, est un puissant facteur d’attractivité, de compétitivité de nos entreprises et, plus largement, de l’adhésion de tous à la loi. Pourquoi opposer, comme certains députés, intérêts privés et intérêt général, plutôt que de chercher à les articuler au mieux ?
Défiance culturelle
En France, la défiance culturelle de l’opinion vis-à-vis des intérêts particuliers, notamment quand ils sont économiques, a des racines historiques profondes : la Révolution d’inspiration rousseauiste s’est construite contre les particularismes de l’Ancien Régime, au nom d’une volonté générale qu’ils ne pouvaient que menacer.
Or, la légitimité de ces intérêts à dialoguer avec les acteurs publics étant consubstantielle à la démocratie, il n’est dans les faits pas une décision, pas une loi, pas un règlement qui ne soit pris sans qu’ils interviennent. Mais ce dialogue est mal assumé : les pouvoirs publics l’admettent du bout des lèvres, le cachent, voire le dénoncent quand il s’agit de discréditer un adversaire, contribuant ainsi à garder dans l’ombre l’activité de certains représentants d’intérêts et à entretenir la défiance voire le rejet de l’opinion.
C’est pourquoi renouveler la décision publique, installer une culture du dialogue ouvert et de la solution partagée serait plus utile que de créer de nouvelles contraintes administratives. Cela bénéficierait aux acteurs économiques et sociaux, qui évolueraient dans un cadre réglementaire plus adapté, plus lisible et plus stable, et aux pouvoirs publics, dont les décisions seraient mieux fondées, plus représentatives et plus légitimes, permettant ainsi aux réformes d’être menées.
La confiance des citoyens n’en serait que renforcée.