Tour de France : coureurs émergents
Tour de France : coureurs émergents
Par Adrien Pécout (Revel, Haute-Garonne)
Ethiopien, canadien ou argentin, les ressortissants des « petites nations » veulent exister dans le peloton.
L’Argentin Eduardo Sepulveda, le 7 juillet, à Arpajon-sur-Cère (Cantal). | Jérôme Prevost/Presse Sports
Sur le bas-côté, un drapeau canadien. La présence de la feuille d’érable rouge dans le public rappelle celle d’Antoine Duchesne sur la route, à l’approche de l’arrivée d’étape à Revel (Haute-Garonne), mardi 12 juillet. Dans le peloton du Tour, où circulent trente-cinq nationalités, le Québécois de l’équipe Direct Energie représente à sa manière les pays émergents du vélo, où la pratique du cyclisme suppose encore bien des obstacles. Tout comme l’Ethiopien Tsgabu Gebremaryam Grmay (Lampre-Merida) et l’Argentin Eduardo Sepulveda (Fortuneo-Vital Concept). Rencontres.
Antoine Duchesne : « Je faisais plutôt du skate »
Antoine Duchesne comprend maintenant sa douleur. Sur 192 cyclistes encore en course, il est, à l’issue de la 10e étape, 119e pour ses débuts sur le Tour. Adolescent, le Canadien rejetait pourtant le vélo sur route comme un « sport efféminé », un sport réductible, selon le cliché, aux cuissards de ses compétiteurs. Guère attrayant, au pays du hockey sur glace, pour « un petit gars qui aimait jouer dans la boue et qui voulait un sport de guerrier, un sport de dur. Jeune, je faisais plutôt du skate. Et le vélo de montagne [le VTT] m’attirait beaucoup plus que celui sur route ».
Refus parental. « Mes parents m’ont dit : “Le vélo de montagne, ça se brise facilement et ça coûte cher. Fais plutôt du vélo sur route, comme ta sœur.” » Duchesne, à rebours de ses préjugés, s’y met à l’âge tardif de 14 ans. Avec une décennie de recul, le cycliste québécois avoue se faire « encore taper sur les doigts par quelques mentors qui trouvent ridicules » ses lacunes dans « l’histoire de [son] sport, de [son] métier ». Petite interrogation surprise et question au hasard : le vainqueur du Tour 1997 ? « Je sais que Jan Ullrich en a gagné un dans ces années-là… » Réponse hésitante, mais correcte.
Le « Caribou » vit à présent en Provence. Curieux de vélo autant que d’œnologie : « Si on m’enlevait le vin, je serais malheureux ! Après ma carrière, j’aimerais bien me diriger vers la viticulture au Québec pour montrer que nous aussi, on est capable de produire du vin. » Prochaine dégustation, jeudi 14 juillet. Le peloton s’élance à l’assaut du mont Ventoux, tout près d’un vignoble où Duchesne, stagiaire appliqué, a vendangé l’an dernier.
Tsgabu Gebremaryam Grmay : « De vieux vélos trop grands »
Mekele, nord de l’Ethiopie. Dans les airs, des avions qui décollent de l’aéroport. Et, au sol, de plus en plus de vélos qui circulent, selon Tsgabu Gebremaryam Grmay, premier Ethiopien à participer cet été au Tour, à ce jour 90e au classement : « Acheter un vélo a longtemps été très cher, mais maintenant, les habitants commencent à gagner plus d’argent et peuvent plus facilement s’en trouver. »
« Gebre », 24 ans, a eu de la chance. « Mon père travaille dans un petit garage mais il a fait des courses comme cycliste amateur. Alors, il se débrouillait toujours pour acheter des vélos d’occasion. » Des engins « très vieux » et « trop grands », sur lesquels l’enfant apprend d’abord à jouer les équilibristes. Un objet du quotidien, qu’il s’approprie pour « faire les courses ou aller à l’école » : « Je devais faire environ dix kilomètres aller-retour pour aller à l’école gratuite. Il y en avait d’autres plus proches, mais payantes… »
Le coureur partage aujourd’hui son temps libre entre l’Italie et sa ville natale. « A Mekele, raconte-t-il en anglais, tout le monde me connaît. » Mais le cycliste attend encore de recevoir le soutien présidentiel, assure-t-il, dans un pays qui s’est plutôt fait une spécialité des médailles d’athlétisme. Tout l’inverse de Daniel Teklehaimanot et Natnael Berhane, deux coureurs de la très autoritaire Erythrée, ancienne colonie italienne mordue de vélo. Grmay, diplomate, esquive : « Nous vivons dans deux pays différents. »
Eduardo Sepulveda : « J’étais tout seul »
A 13 ans, Eduardo Sepulveda avait l’habitude du football. Puis l’Argentin a découvert ce que voulait dire la solitude sur les routes de Rawson, dans le sud-est du pays : « J’ai commencé le vélo pour le plaisir de rouler quand j’en avais envie. Mais j’étais tout seul, je n’avais pas d’équipe, je ne savais pas les courses que j’allais faire le week-end suivant. »
Plus tard, l’apprenti a dû s’envoler pour la Suisse et le Centre mondial du cyclisme, une structure de l’Union cycliste internationale pour accueillir les sportifs des fédérations dans le besoin. « A Aigle, j’ai eu un cadre de travail, un programme d’entraînement sur six mois. Je m’entraînais pour la première fois avec des capteurs de puissance, je me préparais pour monter des cols, alors qu’en Argentine, je roulais seulement sur du plat. »
Le grimpeur a intégré cette structure en 2012. L’Ethiopien Tsgabu Gebremaryam Grmay l’avait précédé un an plus tôt. Et, avant eux, un certain Chris Froome, le « Kényan blanc », actuel maillot jaune du Tour de France. « Pour être professionnel, résume Sepulveda en français, il fallait aller en Europe. »
Soupir de l’Argentin, 25 ans, qui réside désormais en Andorre : « Dans mon pays, les médias parlent peu de cyclisme, même pour une performance importante. Ils connaissent peu ce sport, mais Lance Armstrong et les cas de dopage, oui… Dès que des entreprises ont un peu d’argent, elles préfèrent l’investir dans un club de football plutôt que dans le vélo. Pourtant, beaucoup de nos cyclistes ont du talent. » Eduardo Sepulveda, pour l’instant 28e du Tour, parle pour eux.