RDC : les ratés de la campagne « arme contre vélos »
RDC : les ratés de la campagne « arme contre vélos »
Par Habibou Bangré (contributrice Le Monde Afrique, à Kinshasa)
Pour convaincre civils et miliciens de rendre leurs armes et encourager le développement, un programme gouvernemental devait offrir des vélos ou des motos. Mais les cadeaux se font attendre.
Des armes récupérées à Kateku, dans le Nord-Kivu, en 2014. | JEAN BAPTISTE BADHERA / AFP
L’opération « arme contre développement » patine. Une commission interministérielle avait organisé du 11 mars au 11 avril une sensibilisation dans les territoires de Pweto, Mitwaba et Kasenga, dans le sud-est de la République démocratique du Congo, pour convaincre les civils et les miliciens de rendre leurs armes. En échange, ils devaient recevoir un cadeau indexé sur la quantité et la qualité remise. Dans la hotte de Kinshasa : vélos, motos, tôles, moulins…
La campagne doit réduire la violence armée, restaurer l’autorité de l’Etat et favoriser le développement. « Si une arme reste cachée, elle peut ressortir un jour et parler, plaide Odilon Mukalay Musumba, à la tête de la chefferie de Kiona-Nzini et relais du gouvernement dans le Pweto. Il faut conscientiser tout le monde. Sans arme, le développement est possible. »
« Pas de motos »
Ces présents devaient être transférés dans les territoires via Lubumbashi, deuxième ville du pays, plus au sud. « Mais le gouvernement traine, déplore un délégué de la campagne. Les kits auraient dus être prépositionnés. Il y a eu des tôles, mais des vélos restent bloqués et il n’y a pas de motos. » Un responsable des services de sécurité appelle à la « patience » : « Le gouvernement est très engagé. Les motos devraient arriver d’ici quelques jours... »
En attendant, Mbowa Kalenga, administrateur assistant du territoire de Mitwaba, est désemparé. Une trentaine d’armes ont été rendues mais seules des tôles sont disponibles, et elles sont stockées dans un dépôt inaccessible aux autorités. « Ça ne peut pas influencer les autres à venir si les premiers n’ont rien eu, assure t-il. Les gens trouvent que c’est comme si nous, l’autorité, on avait menti. On n’a plus le courage de dire aux gens de rendre leurs armes. »
Le délégué de la campagne explique que des miliciens sont prêts à remettre leurs armes mais « exigent d’abord l’arrivée des cadeaux, surtout des motos ». Quant aux rebelles qui ont déjà obtempéré, ils se montrent pressants. « Ils disent : « Ça fait des mois qu’on attend ! Vous êtes venus pour nous escroquer ? » Ils appellent chaque jour et les équipes sur le terrain craignent qu’on ne les attaque, en représailles ou pour récupérer les armes… »
Une immunité, en plus
En plus de cadeaux, la campagne offre une immunité, dont pourront bénéficier les miliciens Bakata-Katanga coopératifs. Très actifs en 2013-2014, et désormais affaiblis, ils revendiquaient l’indépendance de l’ex-province du Katanga. A leur paroxysme, les violences – meurtres, pillages, incendies… – ont fait 607 000 déplacés. La moitié est rentrée, mais beaucoup peinent à recommencer à zéro. Résultat, l’amnistie fait polémique.
« Cela nous semble être une prime à l’impunité. Les victimes, comme d’habitude, sont laissées pour compte », lâche Timothée Mbuya, président de l’ONG Justicia. Au Bureau conjoint de l’ONU pour les droits de l’Homme (BCNUDH), le directeur Jose Maria Aranaz juge « qu’aucune démobilisation ou accord de paix ne sera durable s’ils n’assurent pas la justice ». Odilon Mukalay Musumba, lui, martèle que tout ce que la population réclame, c’est un « village sans arme. »
Village sans arme, si tout le monde joue le jeu. Le Programme œcuménique de transformation des conflits et de réconciliation (Parec), financé par la présidence, a inauguré « arme contre vélo » en 2005 dans l’ex-Katanga, avant de s’occuper de Kinshasa et des provinces des Sud et Nord Kivus (Est). Arme contre 50 dollars, arme contre 100 dollars, arme contre tôle… De 2005 à 2010, près de 37 700 armes et munitions ont été collectées, selon Pierrot Senga, coordonnateur national adjoint du Parec.
« Des résultats mitigés »
Coût estimé : des millions de dollars. Pour Crispin Atama Tabe, ministre de la Défense, cela valait la peine car les campagnes ont « réduit la virulence de certains groupes armés », qui se comptent par dizaines dans l’Est. « La communauté internationale avait refusé de financer, et la Monusco [Mission de l’ONU] et certains qui avaient des intérêts dans les rébellions et mouvements armés l’avaient beaucoup critiquée, indique t-elle. Elle n’était donc pas allée jusqu’au bout et avait laissé des résultats mitigés. »
Pour enrayer l’instabilité chronique depuis vingt ans dans l’Est, le ministre estime qu’il faut mélanger « pression militaire » et désarmement volontaire. Mais il faudra un « sérieux contrôle », ajoute Odilon Mukalay Musumba. Sinon, certains pourraient rester armés pour exprimer leur « mécontentement » ou se défendre, alors que par endroits les conflits ethniques, économiques et fonciers s’aggravent. Au Sud-Kivu c’est justement la crainte de se retrouver à la merci de l’ennemi qui a plombé la collecte du Parec. Bilan : 410 armes récupérées.