Pour la Cnuced, l’Afrique doit diversifier ses sources de financement
Pour la Cnuced, l’Afrique doit diversifier ses sources de financement
Par Marie Charrel
Si elle reste sous contrôle, la dette extérieure des pays africains suit une trajectoire préoccupante, estiment les Nations unies. L’organisation appelle le continent à développer d’autres sources de financement, par exemple en mobilisant les fonds de la diaspora.
A la Bourse de Johannesburg, en mars. | © Siphiwe Sibeko / Reuters / SIPHIWE SIBEKO
L’Afrique est à la croisée des chemins. Ces prochaines années, elle devra relever un défi de taille : trouver les financements indispensables à son développement, mais sans retomber dans le piège infernal du surendettement. Tel est, en substance, le constat du rapport 2016 sur le développement économique en Afrique publié jeudi 21 juillet par la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced).
L’institution tient jusqu’au 22 juillet sa quatorzième réunion quadriennale à Nairobi, au Kenya. Objectif : définir ses axes de travail pour les quatre prochaines années. En la matière, le rapport 2016 est riche en pistes de réflexion et d’action.
600 à 1 200 milliards de dollars annuels de besoins de financement
Premier constat de la Cnuced, notamment chargée d’aider les pays en voie de développement à équilibrer leur croissance en s’ouvrant au commerce : l’Afrique fait face à des besoins de financement colossaux. Surtout si elle veut atteindre les objectifs de développement durable et de lutte contre la pauvreté qu’elle s’est fixés.
Pour y parvenir, il lui faudrait mobiliser 600 à 1 200 milliards de dollars par an (1 089 milliards d’euros), estime la Cnuced, dont 93 milliards au moins pour les infrastructures. Or les seules ressources budgétaires des gouvernements ne suffisent pas à couvrir ces besoins. Ni l’aide au développement fournie par les pays industrialisés donateurs. Crise oblige, celle-ci a plutôt tendance à baisser.
« Le modèle de financement de l’Afrique doit donc évoluer, estime Bineswaree Bolaky, de la section Afrique de la Cnuced, coauteur du rapport. A l’avenir, les pays devront s’appuyer bien plus sur leurs ressources intérieures. » La bonne nouvelle, c’est que celles-ci ne manquent pas. La mauvaise, c’est que toutes présentent des risques considérables, ou bien des obstacles plus ou moins délicats à lever selon les pays.
La dette extérieure des pays africains augmente à un rythme préoccupant
La première de ces options est le recours à l’endettement. Face à l’environnement de taux bas en Europe et aux Etats-Unis, les investisseurs internationaux en quête de rendements élevés prêtent plus volontiers à la Côte d’Ivoire, au Gabon ou au Kenya. « Ces pays commencent à développer leurs marchés financiers et à émettre des obligations en devises locales », explique Mme Bolaky. Ce qui est positif, tant que le phénomène reste maîtrisé.
Aujourd’hui, le niveau de dette extérieure (celle détenue par les non-résidents) des pays africains reste raisonnable et sous contrôle, inférieur à 40 % du revenu national brut dans la plupart des pays. Mais il a augmenté à un rythme soutenu ces dernières années : de 10,2 % par an entre 2011 et 2013 en moyenne, et même 26 % au Cameroun et 30 % par an au Mozambique. En cause, notamment, la baisse des cours des matières premières et des recettes liées.
« Il ne faudrait pas que les pays les plus fragiles reproduisent le schéma de la crise des dettes des années 1980 », prévient Mme Bolaky. Et cela peut aller très vite. Surtout lorsque les emprunts sont contractés en devises étrangères, comme c’est encore beaucoup le cas. En 2007, le Ghana a ainsi émis pour 750 millions de dollars d’obligations sur les marchés internationaux pour financer son déficit. A l’époque, le cedi ghanéen était presque à parité avec le dollar. Mais, à la suite de l’effondrement des exports d’or et de cacao du pays, le cedi s’est effondré : il ne valait plus que 0,026 dollar à la fin de 2015. Résultat : le coût des obligations émises en 2007 a plus que triplé. Il frôle désormais les 3 milliards de dollars…
L’épargne de la diaspora est une source alternative de financement
Voilà pourquoi la Cnuced suggère aux pays concernés d’explorer en parallèle d’autres sources de financement. Par exemple, en développant des partenariats public-privé (PPP), à condition que les projets à financer soient choisis avec précaution et suivis avec transparence.
Ou encore en mobilisant les fonds de la diaspora. Le rapport détaille :
« Selon la Banque mondiale, les diasporas des pays émergents ont épargné 497 milliards de dollars en 2013. Elles ont renvoyé une partie de ces sommes dans leur pays d’origine, qui, une fois dépensées, contribuent au budget de l’Etat destinataire à travers l’impôt indirect. »
Les pays tels que l’Ethiopie, l’Egypte, la Somalie ou l’Afrique du Sud ont donc tout intérêt à construire des outils permettant de capter cette épargne, tout en limitant les frais de transfert. Par exemple, en émettant des « obligations diaspora », qui permettent aux expatriés de placer simplement leurs économies dans leur pays d’origine. Le Sri Lanka ou Israël émettent de tels titres depuis longtemps, avec succès.
Les flux illicites font perdre 22 milliards d’euros par an au continent
Au reste, souligne la Cnuced, les gouvernements locaux gagneraient à renforcer la lutte contre les flux financiers illicites, à savoir ceux issus de la corruption, de la fraude fiscale ou des activités criminelles. « Ils ont fait perdre 854 milliards de dollars au continent africain entre 1970 et 2008, soit 22 milliards par an », dénonce le rapport.
Un tiers seulement de ce montant suffirait à effacer la totalité de la dette extérieure africaine, estimée à 279 milliards de dollars en 2008… Mais récupérer ces sommes ne sera possible qu’avec l’aide des pays industrialisés, afin de renforcer la transparence des transactions financières et la lutte contre l’évasion fiscale.
Enfin, la Cnuced regrette que trop peu de données sur la dette et les recettes publiques des Etats africains pauvres et très endettés ne soient disponibles. Le Fonds monétaire international et la Banque mondiale font peu d’efforts pour rendre accessible les informations dont ils disposent en la matière. Or moins les finances publiques d’un Etat sont transparentes, plus il est difficile de garantir la viabilité de sa dette…