La police française a ordonné la suppression de 10 091 contenus ou sites à caractère terroriste sur Internet entre mars 2018 et février 2019, soit trois fois moins que pour la période précédente (32 739).

C’est l’un des enseignements du rapport annuel de la personnalité qualifiée chargée de contrôler la légalité de ces demandes de retrait, qui ne passent pas par un juge. Ce rapport d’activités 2018 a été publié par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), lundi 27 mai.

Depuis début 2015, la police dispose d’un pouvoir de signalement et de blocage pour les sites ou contenus à caractère terroriste et pédopornographique. Elle demande d’abord au site Internet incriminé la suppression du contenu illégal et, faute de réponse dans les vingt-quatre heures, peut demander le blocage du contenu aux fournisseurs d’accès à Internet, rendant le site inaccessible depuis la France. Elle peut également compléter cette mesure, ou la remplacer lorsque le blocage est impossible, par une demande de déréférencement, c’est-à-dire de suppression du contenu des moteurs de recherche comme Google.

Nette augmentation des contenus pédopornographiques supprimés

La décrue du nombre de contenus à caractère terroriste repérés et signalés par la police, s’expliquerait, selon Alexandre Linden, la personnalité qualifiée désignée pour contrôler les demandes policières, par la diminution du nombre de signalements réalisés par les internautes. Ce dernier pourrait être lié, a-t-il encore expliqué lors d’une conférence de presse, lundi 27 mai, à la diminution de l’intensité de la propagande de l’organisation Etat islamique sur Internet à mesure que son emprise territoriale s’étiolait en Syrie.

En revanche, le nombre de contenus pédopornographique a nettement augmenté sur la même période, passant de 2 371 sites repérés entre mars 2017 et février 2018, à 7 923 entre 2018 et 2019. Cette multiplication par trois pourrait s’expliquer par les modalités plus claires de signalement auprès de la plate-forme Point de contact, gros pourvoyeur d’alertes vers les autorités.

Après la demande de retrait, la plupart des contenus sont supprimés : cela a été le cas pour 84 % des sites pédopornographiques et pour les deux tiers des contenus terroristes signalés en 2018. Le cas échéant, un blocage ou un déréférencement peuvent être ordonnés par la police.

Il a ainsi été demandé 82 blocages et 2 994 déréférencements pour les contenus à caractère terroriste. Concernant les sites pédopornographiques, 797 blocages et 3 587 déréférencements ont été demandés. Une différence de grandeur qui s’explique par la difficulté de bloquer le site lorsqu’un contenu est hébergé sur une plate-forme grand public.

Une demande visant un Tweet humoristique retoquée

A chaque fois que la police formule une demande, elle en transmet une copie à la personnalité qualifiée, qui vérifie qu’elle n’empiète pas indûment sur la liberté d’expression. En un an, seules deux demandes policières ont fait l’objet de remarques de la part du magistrat. La première, sur une question purement technique.

La seconde concerne une demande policière de retrait et de déréférencement d’un Tweet sur l’Etat islamique et les « gilets jaunes », clairement parodique. Après avoir reçu la recommandation de la personnalité qualifiée soulignant le caractère purement humoristique du message, la police est revenue sur sa demande. « On peut faire de la parodie à propos du terrorisme, on peut dire des choses qui se veulent drôles à propos du terrorisme, ce n’est pas interdit », a souligné Alexandre Linden lors de la conférence de presse de remise de son rapport.

Certaines demandes émanant de la police échappent toutefois à son regard. C’est notamment le cas du photomontage du visage d’Emmanuel Macron sur une photographie de Pinochet. Ce détournement hébergé sur Google + avait été signalé par la police. Cette demande de retrait n’ayant été faite ni pour pédopornographie ni pour apologie du terrorisme, la demande n’avait pas à être supervisée par Alexandre Linden.

Victoire au tribunal administratif

Le rôle rempli par Alexandre Linden n’est pas accessoire : il a ainsi obtenu devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise l’annulation de plusieurs demandes émises par la police. Ces dernières concernaient plusieurs textes revendiquant des incendies de véhicules et de locaux de gendarmerie en région grenobloise et à Clermont-Ferrand. La police estimait que ce communiqué faisait une apologie du terrorisme.

Alexandre Linden n’était pas du même avis, remarquant notamment que le parquet spécialisé dans l’antiterrorisme n’avait même pas été saisi. Le tribunal a finalement donné raison à M. Linden, calquant sa définition du terrorisme sur celle de la jurisprudence de l’affaire de Tarnac. Un cadre dans lequel n’entraient pas, a estimé le juge, ces textes de revendication.

Le dispositif français en matière de censure administrative d’Internet pourrait évoluer dans les prochains mois, en fonction de chantiers législatifs européens et nationaux. L’Union européenne discute actuellement d’un projet de règlement contre les contenus terroristes en ligne qui pourrait accélérer la suppression des contenus incriminés, rendant le contrôle de la personnalité qualifiée moins systématique. D’autre part, une proposition de loi contre la haine en ligne, dont la discussion va commencer sous peu à l’Assemblée nationale, pourrait prévoir un mécanisme similaire.

Manque de moyens

Malgré tout, Alexandre Linden a déploré le manque de moyens alloués à sa mission. Désigné par la CNIL, il est actuellement assisté par deux de ses membres lors des séances de contrôle des demandes policières.

« J’ai demandé en vain depuis quatre ans à ce que les moyens matériels et humains soient augmentés. Il est arrivé que je ne puisse mener les séances car la CNIL n’avait pas les moyens de me mettre à disposition les agents dont j’ai besoin », a expliqué M. Linden à la presse lundi 27 mai, précisant que cela ralentissait considérablement son travail de contrôle.