Opération séduction de l’opposition sud-africaine auprès de l’électorat noir
Opération séduction de l’opposition sud-africaine auprès de l’électorat noir
Par Sébastien Hervieu (envoyé spécial à Soweto)
L’Alliance démocratique, premier parti d’opposition à l’ANC, a réuni samedi ses militants une dernière fois avant les élections municipales de mercredi 3 août.
Mercredi, Letlogono Phala, 20 ans, votera pour la première fois. Ce sera pour l’Alliance démocratique (DA), le principal parti d’opposition sud-africain. « Comme mes parents qui ont toujours voté ANC, mais cette fois-ci, ils en ont marre et veulent changer » précise le jeune homme noir depuis les tribunes du stade de Dobsonville, à Soweto, où se tenait samedi 30 juillet le dernier grand meeting électoral du DA.
« Les dirigeants de l’ANC disent que les Noirs doivent voter pour eux, mais ils sont trop occupés à s’enrichir, et ne font rien pour nous » dénonce cet habitant d’un township au nord de Pretoria. Lui triple sa classe de terminale (grade 12), mais sa sœur de 23 ans n’a toujours pas de travail. « Pour en avoir un, il faut être connecté avec l’élu du coin, parfois lui donner de l’argent, ce n’est pas normal, nous voulons du changement ! » répète-il.
Les élections municipales du 3 août seront un test clé pour l’Alliance démocratique (DA). Cantonné jusqu’ici à faire le quasi-plein des voix chez les minorités blanches (8 % de la population), métisse (9 %) et indienne (2,5 %), le parti compte briser ce plafond de verre en séduisant une partie du vaste électorat noir (80 % de la population), déçu de l’action du Congrès national africain (ANC) au pouvoir depuis les premières élections démocratiques de 1994. Le DA n’avait obtenu les faveurs que de 6 % des Noirs lors des dernières élections générales en 2014.
Mmusi Maimane, symbole du renouveau du parti
« Il y a huit ans, les autorités m’ont déplacée d’un bidonville à un autre en me promettant une maison en dur, râle Annah Mokubung, 56 ans, originaire du quartier pauvre de Tembisa, au nord-est de Johannesburg. Elle m’a été promise sous… trois mois, je n’en peux plus d’attendre ce logement social ». Comme la plupart de la vingtaine de milliers de participants au meeting, acheminés en bus par le parti, cette grand-mère, dont la famille ne survit que grâce aux versements mensuels d’allocations familiales (R350 par enfant, soit 23 euros), critique vertement le bilan de Jacob Zuma. Chef d’Etat depuis 2009, il est visé par plusieurs scandales de corruption et d’abus de biens sociaux. « Il n’est pas bon comparé aux anciens présidents, Nelson Mandela et Thabo Mbeki, avec lui, il y a trop de corruption et pas assez de développement » résume-t-elle.
Sur scène, Mmusi Maimane incarne son nouvel espoir. Né il y a 36 ans à quelques rues de là, le dirigeant est le premier noir élu – en mai 2015 – à la tête de l’Alliance démocratique. Une révolution pour une formation perçue dans l’opinion publique comme un « parti de Blancs ». Un choix stratégique pour séduire les millions de nouveaux électeurs « nés libres » qui n’ont jamais connu l’apartheid. Une génération qui se sent moins redevable que celles de ses parents et grands-parents à l’égard de l’ANC, tombeur du régime raciste.
« Si on veut continuer à grandir, il faut absolument convaincre des électeurs noirs, Mmusi est là pour ça » explique Michael Waters, vice-président du groupe DA à l’Assemblée nationale, « on risque de perdre des électeurs blancs les plus à droite, mais on en gagnera beaucoup plus de l’autre côté ».
Mmusi Maimane lors du meeting du 30 juillet au stade de Dobsonville, à Soweto. | GIANLUIGI GUERCIA / AFP
« J’avais neuf ans quand Nelson Mandela est sorti de prison » rappelle au micro Mmusi Maimane, « et moi aussi je votais ANC au début, pour tout le monde, cela allait de soi ». La mise en scène par ce bon orateur de son histoire personnelle est parfaitement réglée. « Puis avec l’élection de Jacob Zuma, l’ANC nous a abandonnés, il a tourné le dos à tout ce pour quoi Nelson Mandela s’était battu » tonne-t-il au micro.
Le nom du plus célèbre militant de l’ANC sera cité près d’une trentaine de fois au cours d’un discours intitulé « Faites-le pour Madiba », surnom du premier président de l’Afrique du démocratique. Malgré les vives critiques de l’ANC et de la famille Mandela à l’encontre de cette appropriation jugée abusive, le DA, héritier de l’opposition blanche au gouvernement de l’apartheid, a largement utilisé cette figure dans sa campagne.
Un parti « handicapé par une ambivalence permanente »
Une stratégie payante ? « Quand je fais du porte à porte, je sens bien que les gens sont en colère, mais c’est dur de les convaincre de voter pour nous car leurs cœurs appartiennent encore à l’ANC » reconnaît Tshitso Rantso. Ancien de la Ligue de la jeunesse de l’ANC, ce militant DA à Bothaville dans la province de l’Etat-Libre, avait quitté les rangs du parti lors de l’arrivée au pouvoir de Jacob Zuma. « Le pays a besoin d’une opposition forte pour que l’ANC prenne enfin conscience qu’il doit aussi rendre des comptes à ses électeurs » explique-t-il.
« Mmusi Maimane a un discours qui se veut très progressiste, et de lutte contre le racisme, mais le parti est handicapé par une ambivalence permanente » estime toutefois Mcebisi Ndletyana, professeur de sciences politiques à l’Université de Johannesburg (UJ). « D’un côté, leurs dirigeants disent comprendre les injustices raciales héritées du passé, d’un autre côté, ils votent aujourd’hui contre les mesures législatives visant à les corriger comme le principe de la discrimination positive, la redistribution des terres, etc. ». Alors que l’Afrique du Sud est au bord de la récession, le chômage frappe presque 30 % des Noirs, contre seulement 6 % des Blancs.
Analyste politique, Aubrey Matshiqi juge que l’Alliance démocratique sera à terme obligée de « mettre fin à cette schizophrénie » : « si les résultats du scrutin de mercredi sont décevants, les cadres noirs de plus en plus nombreux au sein du parti, vont réclamer la fin des ambiguïtés, ce qui risque de susciter des tensions avec l’arrière-garde ». En début d’année, des militants du DA avaient été impliqués dans des incidents racistes.
A Johannesburg, les sondages sont serrés entre l’ANC de Jacob Zuma et l’Alliance démocratique, alors que des affiches des deux partis fleurissent en ville. | MUJAHID SAFODIEN / AFP
Jusqu’à présent, l’Alliance démocratique ne contrôle qu’une seule métropole en Afrique du Sud, Le Cap, remporté en 2006. Une ville témoin selon le DA de la bonne gouvernance menée par le parti lorsqu’il est au pouvoir. « Les électeurs doivent moins s’attacher au passé, et davantage se projeter vers l’avenir en choisissant le parti qui offre des services publics efficaces et des élus irréprochables » insiste John Moodey, chef du DA dans la province du Gauteng qui englobe Johannesburg et Pretoria.
Il y a dix ans, le DA n’avait obtenu qu’une majorité relative au Cap, et avait dû former une coalition avec six autres petits partis pour réussir à gouverner. La situation pourrait se reproduire à l’issue de scrutins annoncés serrés dans les municipalités de Nelson Mandela Bay (Port Elizabeth), Tshwane (Pretoria), et Johannesburg. Le parti libéral serait-il alors prêt à faire alliance avec le deuxième parti d’opposition, de gauche radicale, les Combattants pour la liberté économique (EFF) ? Des discussions à huis clos auraient eu lieu ces derniers jours.
« Est-ce que ces deux partis haissent ensemble plus l‘ANC qu’ils ne se détestent entre eux ? C’est la question qui leur sera posée » résume Adam Habib, recteur de l’université de Witwatersrand à Johannesburg. « Toutes les options sont sur la table » confie un dirigeant du DA, « mais nous devons bien garder en tête que les électeurs nous en voudront lors des prochaines élections générales en 2019 si une coalition paralyse notre action pour améliorer la vie dans ces métropoles, à voir maintenant si l’EFF a le même intérêt ».