Confessions d’experts du pillage de trésor public, en Afrique
Confessions d’experts du pillage de trésor public, en Afrique
Par Seidik Abba
Quand la délinquance en col blanc africaine se raconte au Congo, au Tchad, en RDC et au Mali
Il n’y a, sans doute, pas meilleur moyen de comprendre l’ingénierie du détournement des deniers publics en Afrique que de passer ses protagonistes à la confession. Mis en confiance, dans un café, au bar d’un hôtel de luxe ou autour d’un repas arrosé, ces délinquants en cols blancs racontent par le menu leurs exploits de Kinshasa à Bamako, de Brazzaville à N’Djamena.
Bal des pilleurs à Kinshasa
En recoupant les confidences des pilleurs des deniers publics en Afrique subsaharienne, on s’aperçoit que les grandes manifestations nationales ou internationales sont pour eux des occasions en or massif pour s’adonner à leurs pratiques favorites. Le 14e sommet de l’organisation internationale de la Francophonie (OIF) en novembre 2012 à Kinshasa fut un exemple emblématique. Un diplomate congolais alors dépêché de Paris pour soutenir le comité d’organisation se souvient :
« Une bonne partie de l’élite politique en charge de l’organisation avait clairement décidé de monter un vrai business autour de ce sommet. Elle a ainsi jeté son dévolu sur le parc automobile affecté aux illustres invités. Délibérément, il a été fait en sorte que les 200 véhicules achetés soient livrés en retard et qu’ils soient donc mis en circulation sans cartes grises. A la fin, tous ces véhicules avaient disparu dans la nature sans aucune possibilité de les retrouver, faute de traçabilité ».
Maîtresses et 4X4
La nomenklatura kinoise au pouvoir avait déjà fait main basse sur le parc automobile spécialement acquis en 2010 pour le cinquantenaire de l’indépendance. De luxueux véhicules et des 4 X 4 s’étaient finalement retrouvés aux mains des maîtresses de personnalités en vue. Ici, on appelle ces maîtresses « premier bureau », « deuxième bureau » ou « troisième bureau », selon leur préséance dans l’agenda de Monsieur.
Avec le sommet de l’OIF, le recours au fret aérien s’est ajouté comme autre levier pour détourner l’argent public congolais. Le même diplomate :
« Des commandes de matériel et autre fournitures destinées au sommet auraient pu arriver à Kinshasa en passant par le port fluvial de Matadi. Mais tout a été volontairement retardé afin de contraindre le pouvoir politique à accepter les livraisons par voie aérienne. C’est un énorme enjeu financier. Car le recours au fret permettait de s’entendre avec les transitaires et procéder à des surfacturations ».
Miettes à Bamako, Niamey et N’Djamena
En l’absence de grandes manifestations nationales ou internationales, les pilleurs des deniers publics ont décelé au Mali, au Niger comme au Tchad un excellent business dans les missions à l’étranger. Un cadre de la présidence malienne :
« Avant chaque départ en mission, on reçoit du trésor public des indemnités destinées à couvrir nos frais d’hôtels et notre subsistance. Mais à la fin de la mission, on s’arrange pour que le directeur de cabinet du président ordonne que l’on mette toutes les dépenses sur le compte de la présidence. N’imaginez pas que nous retournerons cet argent non utilisé au trésor public, une fois à Bamako ».
Qu’elles soient de convenance ou justifiées, les missions à l’étranger sont devenues au Tchad aussi un bon créneau pour se mettre l’argent public dans les poches. Un ancien ministre tchadien des Finances :
« La seule chose qui a m’a frappé lorsque j’ai pris mes fonctions, témoigne c’était la fréquence des missions inutiles à l’étranger. Avec le plus souvent les mêmes personnes. Ma volonté d’y mettre fin a suscité une telle levée de boucliers que j’ai reçu l’ordre d’y renoncer. J’avais finalement compris que les missions à l’étranger étaient devenues une sorte de mafia permettant de soustraire de l’argent public sans justification ».
Congo Brazzaville, champion toutes catégories
Au Congo Brazzaville, petit émirat pétrolier d’Afrique centrale (près de 4,5 millions d’habitants avec environ 250 000 barils/jour, alors que le Koweit, pour comparaison, produit 3 000 000 barils/jour pour 3,5 millions d’habitants), l’unité de compte du détournement des deniers publics commence à partir de 10 millions de francs CFA, soit 15 000 euros. Ici, l’ingénierie de la fraude sur les biens de l’Etat se perfectionne chaque jour.
« Pour sortir l’argent du trésor public, confie un haut cadre de la majorité présidentielle, on monte des meetings bidons. On promet ensuite de mobiliser 50 000 personnes à Brazzaville sur la base de 3 000 francs CFA par personne. Ce qui nous amène à 150 millions de FCFA (environ 230 000 euros) que le ministre des Finances va devoir sortir sur instruction expresse du chef de l’Etat ».
Meeting politique à 150 millions
Et comme deux précautions valent toujours mieux qu’une seule, ces énormes sommes d’argent sont toujours soustraites en espèces du trésor public puis distribuées au clan selon une clé de répartition très prise.
« On se retrouve ensuite autour des sacs d’argent pour se les repartir : un dirigeant du parti promet de ramener 15 000 militants, on lui remet 45 millions de FCFA, untel 10 000 militants, ce qui lui fait 30 millions puis un tel autre 5 000 soit 15 millions de FCFA. Ainsi de suite jusqu’à épuisement de la somme de 150 millions, sachant que le ministre des Finances prend aussi sa part, poursuit le même cadre de la majorité au pouvoir. Le jour du meeting, personne ne ramène le nombre des militants qu’il a promis. C’est avec peine qu’on mobilise quelques jeunes du quartier auxquels on donne 1 000 ou au maximum 1 500 FCFA pour le thé. Quelques semaines plus tard, on répète le même exercice en mentant au président Sassou sur l’immense succès du dernier meeting. »
Grandes manifestations transformées en pompes à détournement des deniers publics ici ; faux meetings politiques ruineux pour le trésor public là-bas ; ailleurs des missions de convenance à l’étranger pour soustraire des indemnités à l’Etat : la délinquance en col blanc ne manque pas d’idées et de génie en Afrique subsaharienne.
Personne n’aurait, peut-être, trouvé à redire si ces pratiques-là n’étaient pas devenues, tout comme les magouilles dans la passation des marchés publics, de réels freins au développement du continent.
Seidik Abba, journaliste et écrivain, auteur de Boubakar Ba, un Nigérien au destin exceptionnel, l’Harmattan, 2015.