JO 2016 : Et si Bolt perdait le 100 mètres ?
JO 2016 : Et si Bolt perdait le 100 mètres ?
Par Yann Bouchez (Rio de Janeiro, envoyé spécial)
Usain Bolt, le 13 août à Rio. | GONZALO FUENTES / REUTERS
C’est le scénario annoncé. Au Brésil, Usain Bolt doit gagner son troisième or olympique sur 100 m, première étape du « triple-triplé » qu’il s’est fixé, avant le 200 m et le relais 4 x 100 m. « L’athlétisme a besoin que je gagne à Rio », déclare d’ailleurs le Jamaïcain dans Le Parisien, sans s’embarrasser d’une quelconque fausse modestie.
Et si le sextuple champion olympique de Pékin et de Londres se plantait, pour une fois ? Et si la course au triplé s’enrayait avant même d’avoir commencé ? Voilà trois scénarios imaginaires en attendant le verdict sur les coups de 22 h 25 à Rio, et 3 h 35 du matin à Paris.
- Le scénario cocorico
« Jimmy premier ! Jimmy premier ! Jimmy premier ! » Le disque semble rayé. Patrick Montel, au bord de la syncope, monte dans les aigus. Comme lors du relais 4 x 100 m des Mondiaux de Daegu (voir la mythique vidéo à partir de 2 min 45), l’inamovible commentateur de France Télévisions est en mode repeat. Derrière ses lunettes, il n’en croit pas ses yeux. Au terme d’une fin de course exceptionnelle, Jimmy Vicaut, recordman d’Europe du 100 m (9 s 86) vient de terminer dans la même foulée qu’Usain Bolt. Mais a-t-il pour autant gagné ? Le Jamaïcain et le Français semblent avoir franchi la ligne d’arrivée dans le même temps.
Le suspense reste entier durant d’interminables minutes. Puis le verdict tombe. Même temps pour les deux hommes, mais Jimmy s’impose au millième de seconde (9 s 841 contre 9 s 842), bat son record d’Europe, et surtout, détrône le roi Bolt en finale des JO.
Jimmy Vicaut, au premier plan. | FRANCK FIFE / AFP
Alors qu’il avait dit aux journalistes, avant les Jeux, qu’il ne voulait « pas finir sur une défaite », Bolt annonce la fin immédiate de sa carrière et renonce au 200 m et relais 4 x 100 m.
Jimmy, pour l’occasion, sent les larmes embuer ses yeux de Droopy. Puis il se ressaisit. Couvert d’un drapeau tricolore, il interpelle les journalistes de sa voix grave, dans les coulisses du stade Engenhao : « Eh, les gars, vous voyez bien qu’il fallait y croire ! » Il semblait pourtant bien hasardeux de miser cinq reais (presque deux euros) sur une victoire du tricolore alors que la veille, lors des séries, il avait complètement raté sa course, avant d’être repêché au temps (10 s 19). Mais la bonne étoile de Jimmy lui avait réservé la meilleure des trois demi-finales, sans aucun des principaux favoris. Et en finale, le Français semble dans un autre monde…
Un tricolore sur un podium olympique, l’événement a le goût de l’inédit. Depuis Hermann Panzo, voilà déjà trente-six ans et l’édition de Moscou, en 1980, qu’on n’a pas vu un Bleu en finale des Jeux sur la ligne droite. Jusque-là, la meilleure performance avait été celle de Roger Bambuck, cinquième aux Jeux de Mexico, en 1968.
Le Directeur technique national Ghani Yalouz, qui avait publiquement promis de se « balader à poil dans le stade » en cas de médaille française, tient parole. Dans le plus simple appareil, il entame un tour de piste avec la mascotte Vinicius, ils finiront tous les deux au poste de police du stade. Au club France, le président de la Fédération française d’athlétisme, Bernard Amsalem, préfère sourire de ce « gentil pétage de plombs ». Dans le camp tricolore situé au cœur de Rio, bien après minuit, les enceintes crachent à plein volume La Légende de Jimmy, de Diane Tell : « Je l’aimerai à travers toi… »
- Le scénario catastrophe de l’IAAF
Il a su se faire discret. Justin Gatlin est un petit malin. Aux Mondiaux de Pékin, en 2015, l’Américain avait gonflé ses muscles un peu trop tôt, impressionnant la concurrence dès les séries et les demi-finales. Puis la machine s’était enrayée en finale, et il avait cédé l’or à Bolt pour un centième de seconde (9 s 80 contre 9 s 79 pour le Jamaïcain). Mais à 34 ans, Gatlin a la sagesse de ne pas commettre à nouveau les mêmes erreurs. Courant avec le frein en séries samedi (vainqueur en 10 s 01 tout de même), il contrôle sa demi-finale avant de mettre le pied sur l’accélérateur en finale. Après sa victoire à Athènes, Gatlin remporte son deuxième or olympique au 100 m.
Justin Gatlin, le 13 août à Rio. | OLIVIER MORIN / AFP
Surtout, avec son chrono stratosphérique de 9 s 67, le gamin de New York écrase la concurrence et pique à Bolt le record olympique de la distance, établi il y a huit ans à Pékin (9 s 69). « La Foudre » est foudroyée. Bolt termine deuxième, à distance respectable de l’Américain (9 s 81), et juste devant le vétéran Kim Collins – pour un podium dont la moyenne d’âge est de plus de 34 ans. Le public du stade Engenhao est comme étourdi. Dans un premier temps, les spectateurs ne savent plus s’il faut huer le nouveau sacre de l’ex-dopé, déjà suspendu deux fois au cours de sa carrière. Puis ils se décident finalement pour une bronca monumentale, comme si Gatlin était Argentin.
A la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF), c’est la soupe à la grimace. Sebastian Coe, le président de l’IAAF, est embarrassé. Le Britannique avait déclaré, il y a deux ans, avoir « un gros problème » avec le passé tumultueux de Gatlin. A Rio, Sir Coe a mis un peu d’eau dans sa caïpirinha en disant que l’Américain méritait « la même courtoisie » que les autres athlètes. Le scénario est tout de même catastrophique pour l’IAAF, éclaboussée par les scandales de dopage ces derniers temps. Le président allemand du CIO, Thomas Bach, qui s’est prononcé personnellement contre la présence aux Jeux d’athlètes dopés par le passé, est tout aussi ennuyé. Jimmy Vicaut, huitième de la finale, semble en tout cas au-dessus de ces préoccupations et répète ce qu’il avait dit au Monde : « Je n’en ai rien à faire de courir contre un gars qui a été chargé. Sur le plan mental, c’est que tu deviens faible si tu commences à te charger. » Justin Gatlin, occupé à répondre à la presse américaine, n’a que faire des piques de Jimmy.
Sur Twitter, le champion du monde du 100 mètres haies Sergey Shubenkov, privé de Jeux pour cause de dopage d’Etat en Russie, publie un gazouillis ironique pour saluer la victoire de la soirée : « Bravo Justin pour ta très jolie victoire. Vive le sport propre ! »
- Le scénario jamaïcain
On n’est jamais mieux trahi que par les siens. Comme lors du 100 m féminin, la veille, l’or reste la propriété de la Jamaïque. Et comme chez les femmes, le nom du champion olympique change. Yohan Blake, 26 ans, n’a pas respecté le droit d’aînesse, battant d’un souffle Usain Bolt (9 s 73 contre 9 s 75). Troisième devant Gatlin, le Chinois Bingtian Su apporte à la Chine sa première médaille olympique sur la distance. Mais, allez savoir pourquoi, l’événement passe relativement inaperçu.
Il y a quatre ans, à Londres, Bolt avait pourtant déjà senti venir le vent du boulet. Battu sur 100 m et 200 m en juillet 2012 lors des sélections jamaïcaines, « la Foudre » avait remis les pendules à l’heure du côté de Big Ben, avant de recadrer publiquement le jeunot. Yohan Blake s’était alors contenté de l’argent. Avant de faire profil bas.
Battu et abattu, Bolt quitte la piste, tête basse, pour rejoindre directement Kingston et y fêter son trentième anniversaire, le 21 août. Son compatriote Nickel Ashmeade le déplore au micro de Nelson Montfort, façon Jordan Pothain : « Usain nous a abandonnés. » De son côté, Jimmy Vicaut, déçu de sa septième place, annonce qu’il met fin à sa collaboration avec son entraîneur Guy Ontanon. Allez savoir pourquoi, l’événement passe relativement inaperçu.
Dans une dernière déclaration à la presse, « Lightning Bolt » a pour une fois perdu le sourire. De méchante humeur et alors qu’un journaliste lui demande s’il saura se remettre un jour de cet échec, il livre cette déclaration empreinte de modestie : « Bien sûr que je saurai m’en relever. La question que vous devriez plutôt vous poser c’est si l’athlétisme saura se remettre de ma retraite. Peu importe cette défaite, sur la piste je suis venu comme un roi, et je repars comme une légende. » Sur son compte Twitter, Zlatan Ibrahimovic, nouvelle star de Manchester de Manchester United, publie un gazouillis, dont on ignore s’il est ironique : « Hey Usain ! J’ai des places pour Old Trafford, si tu veux venir voir les débuts de ton club de cœur en Premier League, tu es le bienvenu. »
Usain Bolt, le 13 août à rio. | Matt Dunham / AP