Emmanuel Besnier, le PDG invisible de Lactalis aux méthodes commando
Emmanuel Besnier, le PDG invisible de Lactalis aux méthodes commando
LE MONDE ECONOMIE
Le patron du groupe mayennais, numéro un mondial du secteur, cultive le goût du secret et de l’affrontement commercial ou social.
Affiche aux abords du siège de Lactalis, à Change, près de Laval, bloqué par les producteurs laitiers, le 27 août. | JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP
Qui a déjà rencontré Emmanuel Besnier, le PDG de Lactalis ? Pas les syndicalistes agricoles, qui ont mené mardi 30 août des actions devant quinze de ses sites, dans l’espoir d’obtenir un relèvement significatif des prix auxquels il achète leur lait.
Pas les pouvoirs publics non plus. De Laval, en Mayenne, M. Besnier a beau diriger l’un des premiers groupes français, « je ne l’ai jamais vu, je n’ai pas son portable », a reconnu le ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll, lundi sur France Info. « Il ne m’a jamais demandé un rendez-vous. » Difficile pour le gouvernement, dans ces conditions, de faire pression sur le groupe au centre de la crise laitière : il n’y a guère de donnant-donnant possible avec un industriel 100 % privé qui ne réclame jamais rien à l’Etat.
Un PDG invisible, des méthodes musclées. Lactalis est un géant de 75 000 personnes qui a gardé le goût du secret et l’esprit commando de sa jeunesse.
André Besnier a fabriqué ses premiers camemberts en 1933. Son fils Michel a développé la maison à grand renfort d’acquisitions, d’investissements massifs, de coups de marketing. Petit-fils du fondateur, Emmanuel Besnier a repris le flambeau à la mort brutale de son père, en 2000. Il a accéléré l’internationalisation du groupe, avec des achats en Russie, en Egypte, en Pologne, en Italie, etc. Depuis 2014, il a encore mis la main sur le laitier turc AK Gida, et les indiens Tirumala Milk Products et Anik.
Un Howard Hughes du fromage
Résultat : la petite laiterie de Laval s’est hissée au premier rang mondial des produits laitiers, devant Nestlé. Son portefeuille d’activités est particulièrement garni, du lait Lactel aux yaourts La Laitière en passant par le roquefort Société, la mozzarella Galbani, le beurre Président, la crème Bridel, ou encore le camembert Graindorge, arrivé en juin dans le giron du champion tricolore. Sans compter les 24 % qu’il détient dans son grand rival Bel (Babybel, Kiri, etc.).
Cette transformation en multinationale n’a pas fondamentalement remis en cause le mode de fonctionnement du groupe. Emmanuel Besnier, 46 ans, reste un adepte du secret. Une sorte de Howard Hughes du fromage. Jamais une interview, pas une photo – les deux ou trois qui circulent ont été prises contre son gré. Les résultats du groupe, son endettement, tout est confidentiel. Treizième fortune de France selon le magazine Challenges, avec des biens évalués à 6,8 milliards d’euros, les Besnier veulent rester dans l’ombre.
« Ils nous disent de maîtriser nos charges, ils savent tout de nous, mais nous, on ne sait rien d’eux », peste Marc-Antoine Blot, l’un des responsables des Jeunes agriculteurs de la Manche.
Lors de son OPA sur l’italien Parmalat, en 2011, le groupe a été contraint de lever un coin du voile. Ses comptes pour 2010 ont révélé une entreprise bénéficiaire, sans dégager pour autant des marges outrageuses. La structure centrale du groupe, BSA, est contrôlée à 51 % par le président. Ses frère et sœur, Jean-Michel et Marie, ne sont que minoritaires. Le montage transite par la Belgique, afin de bénéficier des douceurs de la législation fiscale locale.
L’affaire Parmalat a aussi mis en lumière une autre spécificité du groupe : sa culture de l’affrontement, qu’il soit commercial, social ou judiciaire. « Lactalis, c’est une machine de guerre », commente Max Vié, président de l’Organisation des producteurs de lait Normandie-Centre. « Ils sont fiers de leurs produits et n’ont pas peur de la bagarre », opine le consultant en agroéconomie, Jean-Marie Séronie.
La paix des braves avec Leclerc
Dans le cas de Parmalat, M. Besnier n’a pas hésité à lancer son OPA hostile sur ce « joyau national » italien au moment précis où le président, Silvio Berlusconi, accueillait Nicolas Sarkozy à Rome pour aplanir une série de différends… Lactalis a fini par emporter l’affaire, pour 4,5 milliards d’euros, et réussi à redresser ses marges. Mais depuis, la bataille continue avec les actionnaires minoritaires de Parmalat, des fonds comme Amber, Gabelli ou Fidelity.
« Les dirigeants de Lactalis nous vouent une espèce de haine, parce qu’on s’oppose à leurs manœuvres, qu’on les oblige à respecter les règles, à tenir des conseils, qu’on les empêche de retirer le groupe de la Bourse, c’est un cauchemar pour eux ! » raconte Joseph Oughourlian, le fondateur du fonds activiste Amber. Les minoritaires ont notamment contesté le rachat par Parmalat d’une filiale américaine de Lactalis à un prix jugé trop élevé. « C’était un jeu de bonneteau monté pour faire remonter du cash en contournant la loi », selon M. Oughourlian. Saisie, la justice a exceptionnellement imposé une baisse du prix de 15 %. Et le conflit se poursuit, notamment au pénal. « La leçon, c’est qu’avec les minoritaires comme avec les éleveurs, ces gens-là ne comprennent qu’une chose : le rapport de force », affirme le patron d’Amber.
D’autres ont eu l’occasion de le mesurer, comme Leclerc. En 2011, le distributeur ayant refusé les hausses de prix demandées, Lactalis a cessé de livrer ses supermarchés pendant près d’un an ! Après avoir montré les muscles, les Besnier ont néanmoins fini par signer la paix des braves. Comme ils semblent à présent prêts à le faire avec les éleveurs.