Le site d’implantation des futurs réacteurs de la centrale d’Hinkley Point, dans le sud-ouest de l’Angleterre, le 4 août. | DARREN STAPLES / REUTERS

Chaque jour qui passe menace un peu plus l’avenir des deux réacteurs EPR d’Hinkley Point (sud-ouest de l’Angleterre), un projet colossal de 22 milliards d’euros sur lequel reposent largement les espoirs de relance d’une filière nucléaire française en grande difficulté. Le délai de réflexion réclamé par la nouvelle première ministre britannique, Theresa May, a réveillé les spéculations sur la volonté de Londres de le mener à son terme, tout comme les critiques sur les conditions économiques du projet.

Mme May a réaffirmé dimanche 4 septembre, en marge du sommet du G20 de Hangzou (Chine), qu’elle arrêterait sa décision courant septembre, après avoir examiné le dossier sous tous ses angles.

« Ma façon de travailler, c’est de ne pas prendre des décisions sur l’instant. Je regarde les éléments, je prends conseil, je pèse tout soigneusement avant de décider, a souligné la sucesseure de David Cameron. J’ai été très claire (…) et je prendrai une décision à un moment donné ce mois-ci. »

La question de la présence chinoise

A la stupéfaction du gouvernement français et des dirigeants d’EDF, Mme May avait annoncé, le 28 juillet, le réexamen d’Hinkley Point. Et ce quelques heures seulement après le vote de la décision finale d’investissement par le conseil d’administration de l’électricien, maître-d’œuvre du projet. Ce chantier sera financé aux deux tiers par EDF et à un tiers par China General Nuclear Power Company (CGN), l’un des deux géants publics du nucléaire chinois (avec China National Nuclear Corporation).

Mme May s’inquiète notamment de l’entrée des Chinois dans l’industrie nucléaire britannique, selon l’un de ses anciens collègues du cabinet Cameron, où elle occupait le poste de ministre de l’intérieur. Une position qui a fortement irrité les autorités chinoises. L’accord signé en 2015 entre David Cameron, le président Xi Jinping et EDF prévoit qu’après la construction de quatre EPR français cofinancés avec CGN (à Hinkley Point et Sizewell (est de l’Angleterre)), le groupe chinois construira à Bradwell (également sur la coôte est) un réacteur de conception 100 % chinoise. Ce qui inquiète certains milieux de la défense et du renseignement outre-Manche, y compris la chef du gouvernement.

De potentielles « machines à cash »

On ignore encore l’avis du gouvernement May sur l’économie globale du projet. Certains experts, des membres du Parlement et les associations antinucléaires jugent les conditions financières faites à EDF et CGN bien trop généreuses. Dans le cadre d’un contrat approuvé par Londres en 2013, puis par la Commission européenne, ils bénéficieront d’un prix garanti de l’électricité de 92,50 livres (82,9 euros) par mégawattheure produit pendant trente-cinq ans par les deux réacteurs d’Hinkley Point – un tarif très supérieur aux prix actuels sur un marché européen de gros de l’électricité déprimé.

Selon les calculs demandés à trois experts par le Financial Times, EDF et CGN devraient engranger entre 100 et 160 milliards de livres sur cette période suivant le taux d’inflation, le niveau de production et la durée des périodes de maintenance. Une récente projection du National Audit Office, la Cour des comptes britannique, indiquait que le coût pour les consommateurs s’élèverait à 30 milliards de livres. Si EDF parvient à construire les deux EPR d’ici à 2025, comme le prévoit le contrat, ceux-ci deviendront de véritables « machines à cash ». Ce qui pousse son PDG, Jean-Bernard Lévy, à accélérer le mouvement dans un contexte où les besoins de financement du groupe sont considérables.