En Côte d’Ivoire, le prix du cacao monte, pas le niveau de vie des planteurs
En Côte d’Ivoire, le prix du cacao monte, pas le niveau de vie des planteurs
Par Rémi Carlier (contributeur Le Monde Afrique, Abidjan)
Malgré le déploiement d’agents qui contrôlent les prix de vente sur le terrain, les producteurs continuent de subir le « racket » de certains transporteurs.
La nouvelle campagne de commercialisation du cacao en Côte d’Ivoire a officiellement commencé samedi 1er octobre. A cette occasion, le Conseil du café-cacao (CCC), qui fixe les règles de vente dans le pays, a annoncé une hausse de 10 % de la rémunération du kilo de cacao aux planteurs. Fixée à 1 000 francs CFA (1,52 euro) pour la campagne 2015-2016, elle est désormais de 1 100 francs CFA (1,67 euro).
Applaudie récemment par les représentants des coopératives de producteurs de tout le pays présents à l’Hôtel du golf d’Abidjan pour les troisièmes Journées du café-cacao, la nouvelle n’a rien d’une surprise. « Cette envolée est due à l’amélioration continue des cours mondiaux du cacao et au système de vente que nous avons mis en place, qui étale les ventes dans le temps », explique au Monde Afrique Edouard N’Guessan, directeur général adjoint du CCC.
Depuis 2012, la rémunération augmente légèrement à mesure que le pays a affermi sa position. Avec 35 % de parts de marché, la Côte d’Ivoire est le premier producteur mondial d’or brun, devant le Ghana et l’Indonésie. Véritable poumon économique du pays depuis l’indépendance, en 1960, le cacao représente 15 % de son PIB, selon la Banque mondiale. Un secteur clé pour la politique de relance économique lancée par le président Alassane Ouattara à l’issue de la grave crise post-électorale de 2010-2011 dont il est sorti vainqueur.
Ainsi, dès le 2 novembre 2011, un projet de réforme de la filière cacao était adopté en conseil des ministres. Mise en place dès la campagne 2012-2013, elle établit notamment un prix minimum garanti aux producteurs de cacao, égal à au moins 60 % du prix du marché mondial. Fixé à l’époque à 725 francs CFA (1,1 euro), ce minimum sort les producteurs d’un système de revenus dépendant fortement des aléas du marché, en place depuis la libéralisation de la filière cacao en 1998-1999.
« Le cacao nourrit son homme »
« La situation s’est nettement améliorée pour les planteurs depuis 2012, confirme George Tano, planteur depuis 1975, et président d’une coopérative à Soubré (sud-ouest du pays). Les conditions de vie sont toujours difficiles, mais nous pouvons sécuriser un peu nos revenus. Nous avons pu construire une maternelle, six classes, et acheter des camions pour la collecte et le transport des fèves jusqu’aux lieux de transformation. »
Pour Antoine Kouadio, producteur dans la région d’Abengourou (est), grâce à cette nouvelle augmentation du prix « les jeunes vont revoir leur position par rapport au travail de la brousse. Ils voient que le cacao nourrit son homme ». Mais Ousmane Attai, journaliste indépendant, spécialiste du secteur du cacao, reste sceptique. « Quand le prix au kilo est passé à 1 000 francs CFA en 2015, on a tous applaudi. Mais cela n’a pas changé la vie des producteurs. Payer plus les incite à produire plus, donc à payer pour plus d’engrais et d’insecticides, qui coûtent très cher. Ils réinjectent leur argent dans la production, et leur vie ne change pas », souligne-t-il. Pour lui, le CCC devrait aller plus loin, faire une cartographie et un recensement du nombre exact de producteurs – estimé à environ 800 000 – et de parcelles cultivées dans le pays, pour fournir équitablement les intrants dont les planteurs ont besoin dans leur travail au lieu de mettre en place des aides sociales localisées. « Construire des écoles ou des dispensaires, cela dépend des ministères concernés, qui ont un budget pour cela. »
En Côte d'Ivoire, des plantations de cacao transformées en mines d'or clandestines
Durée : 01:48
Avant la réforme, un prix indicatif était établi mais rarement respecté par les acheteurs. Depuis, des centaines d’agents du CCC et de l’Agence nationale d’appui au développement rural (Anader) ont été déployées dans le pays pour garantir que les prix d’achat sont respectés. « On a aussi un système de traçabilité : un acheteur qui veut se procurer des produits est obligé de fournir un reçu au planteur, dont une copie est remise au CCC, explique Edouard N’Guessan. Si un planteur reçoit une offre inférieure au prix minimum, il est tenu de nous le signaler. »
Mais le contrôle a ses limites, illustré par les 40 000 tonnes de fèves identifiées par le gouvernement – le chiffre réel est sans doute bien plus élevé – qui ont été vendues en fraude et à meilleur prix par des producteurs à l’extérieur du pays en 2015. Ousmane Attai, qui confirme que les producteurs touchent effectivement le prix minimum, prévient que « dans les zones de production dont l’accès est difficile, surtout dans le sud-ouest, il est fréquent que les planteurs subissent le racket des pisteurs [transporteurs], qui viennent récupérer la récolte par camion. Ils n’ont pas le choix de leur céder une partie de leur revenu s’ils veulent vendre. »
Pas d’amélioration immédiate
Le pays se tourne à présent vers la réelle plus-value du cacao : sa transformation en chocolat. Le président Alassane Ouattara a ainsi fixé en 2015 un objectif de 50 % de transformation des fèves sur le territoire ivoirien à l’horizon 2020, contre 33 % actuellement. « Il faut développer la transformation pour booster l’économie, mais aussi avoir une valeur ajoutée locale », affirmait le premier ministre Daniel Kablan Duncan, à la cérémonie d’ouverture des Journées du café-cacao samedi 1er octobre.
Selon le CCC, les planteurs ivoiriens ont reçu 1 500 milliards francs CFA (2,3 milliards d’euros) en 2015, contre 1 003 milliards en 2012. Pourtant, le taux de pauvreté reste très élevé en Côte d’Ivoire. Estimé à 46 % en 2015 (moins de 1,70 euro par personne et par jour) par la Banque mondiale, il s’agit d’un phénomène majoritairement rural. Par ailleurs, la transformation des fèves, qui s’effectue à proximité des grands ports d’exportation d’Abidjan et de San-Pédro, et non à l’intérieur du pays d’où provient toute la production de cacao, n’augure pas une amélioration immédiate des conditions de vie d’une grande partie de la population.