L’Afrique subsaharienne en mal d’ingénieurs
L’Afrique subsaharienne en mal d’ingénieurs
Par Myriam Dubertrand
Pour exploiter tout son potentiel, le continent doit développer des partenariats, la mise en réseau de chercheurs et d’étudiants et l’implantation d’écoles étrangères.
Mohamed Moustapha Sarr, 21 ans, 3e année ingénierie de conception des télécoms (ESMT). « Je rêve de choses qui n'ont jamais existé et je dis "Pourquoi pas?" » | Antoine Tempé pour « Le Monde Afrique »
L’Afrique forme des sociologues et des philosophes à la pelle, mais compte peu d’ingénieurs opérationnels. » Tel est le constat d’Etienne Giros, président délégué du Conseil des investisseurs français en Afrique (CIAN). Pourtant les besoins sont énormes : bâtiment et travaux publics, génie civil, mécanique, électricité, maintenance, logistique (notamment gestion de la chaîne du froid), mines, agronomie, énergie, télécoms et numérique.
Les raisons de cette pénurie ? Le métier d’ingénieur, et plus généralement les professions techniques ne sont pas toujours valorisés et le continent souffre du syndrome de « l’ingénieur climatisé ». Entendez par là celui qui délaisse le terrain au profit de son bureau. Quant aux formations, leur niveau est pour le moins disparate.
« Nos membres se plaignent d’avoir à compléter, voire à reprendre la formation de leurs nouvelles recrues, illustre Etienne Giros. Il y a un vrai problème de qualité de l’enseignement et les formations ne sont pas assez tournées vers les entreprises. »
Laboratoires et programmes obsolètes
Dimitrios Noukakis, directeur des MOOC (formations en ligne) Afrique à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, enfonce le clou : « En Afrique subsaharienne, les conditions pour faire de la recherche ont un niveau qui va de très faible à très moyen. Les laboratoires sont souvent obsolètes. Il n’est pas rare que les étudiants travaillent sur des circuits électroniques qui n’existent plus ! Les programmes sont à dépoussiérer. »
Pourtant, les capacités des étudiants africains ne sont pas en cause. Loin de là. « Le niveau des élèves des classes scientifiques au lycée est très bon, le problème se situe au niveau post-bac », souligne Jeanne Duvallet, membre de la Commission des titres d’ingénieur (CTI) et vice-présidente des relations internationales de Grenoble INP.
Un îlot au milieu du désert
Sur les 155 écoles d’ingénieurs membres de la prestigieuse Conférence des grandes écoles (association française d’établissements d’enseignement supérieur et de recherche), sept sont africaines et une seule est basée en Afrique subsaharienne : l’Institut international d’ingénierie de l’eau et de l’environnement (2iE), à Ouagadougou, au Burkina Faso.
Plus de 7 000 diplômés en sont sortis depuis sa création en 2006 et, actuellement, quelque 1 900 étudiants, de 17 nationalités, y sont inscrits en formation initiale. Car il ne faut pas s’y tromper : « 2iE n’est pas une école burkinabé, mais bien une école panafricaine », souligne Pierre Tapie, cofondateur du cabinet de conseil international Paxter, spécialisé dans l’enseignement supérieur. Bref, un îlot de verdure au milieu du désert.
Pour tenter de résoudre le problème de qualité, plusieurs solutions existent, dont l’octroi de labels, par exemple par le biais de l’opération RH Excellence Afrique (REA). Cette dernière permet de décerner une certification aux diplômes et une labellisation aux établissements, d’après 145 critères. L’intérêt pour les étudiants ? « Ils sont sûrs d’acquérir les compétences dont le marché du travail est actuellement demandeur », explique Mohamed Diakité, directeur REA, installé à Abidjan (Côte d’Ivoire).
Et pour les entreprises ? « Les étudiants sont formés selon leur vision et non selon celle d’un ministère. » Même si l’opération vise en priorité les étudiants de niveau CAP à bac +3, « le génie informatique fait figure d’exception, explique Mohamed Diakité, car les SSII ont des besoins de recrutement qui se situent essentiellement à bac + 5 ». L’Ecole nationale supérieure polytechnique de Yaoundé (Cameroun) et l’Institut universitaire de la Côte à Douala (Cameroun) ont d’ailleurs débuté le processus de certification en génie informatique. Les audits in situ se dérouleront courant novembre.
Mise en réseau
Autre piste d’amélioration : « la coconstruction », estime Jeanne Duvallet. Dans ce domaine, « il ne faut pas arriver avec des solutions toutes faites. Nous devons créer des passerelles entre les continents ». C’est ce que fait par exemple le Rescif (Réseau d’excellence des sciences de l’ingénieur de la francophonie), qui comprend, au niveau mondial, 14 universités francophones issues de 11 pays.
Aujourd’hui, le réseau compte cinq partenaires en Afrique, dont quatre en Afrique subsaharienne : l’Ecole nationale supérieure polytechnique de Yaoundé, l’Ecole supérieure polytechnique Cheikh Anta Diop Dakar (Sénégal), 2iE à Ouagadougou, et, enfin, l’Institut polytechnique Félix Houphouët Boigny (Côte d’Ivoire), qui a rejoint le réseau fin 2015.
Le prochain élargissement est prévu l’an prochain. But affiché : former dans ces établissements de jeunes ingénieurs aux technologies les plus avancées sur des thèmes tels que l’eau, l’énergie et la nutrition. Autant de sujets clés pour le continent.
Le réseau met en place des laboratoires communs et facilite les échanges de chercheurs et d’étudiants. « Cette mise en réseau se fait dans un esprit de transfert de compétences », explique Dimitrios Noukakis. Illustration : la conception de MOOCs collaboratifs avec un studio de production en Afrique. Les enseignants y sont formés afin de faire eux-mêmes leurs propres cours.
« La collaboration qui s’inscrit dans la durée est la seule qui permette d’entrer dans un processus de progrès », estime Mohamed Matmati, professeur à Grenoble Ecole de Management et animateur du groupe Maghreb/Afrique à la Conférence des grandes écoles. Et de citer en illustration l’intégration de l’Afrique dans le programme Erasmus qui offre, depuis cette rentrée, des programmes de mobilité internationale pour les étudiants et les enseignants africains ainsi que des transferts de savoir-faire.
Quelle place pour les écoles françaises ?
Pour Pierre Tapie, « il est urgent de réenchanter la technique ». Un objectif qui passe par l’ingénierie pédagogique.
« Il y a une place pour les écoles françaises. Elles ont le savoir-faire pédagogique et peuvent inventer une réponse propre aux besoins locaux. Si elles s’implantent sur le continent, c’est pour créer du nouveau. »
Des exemples ? L’Institut catholique d’arts et métiers (ICAM) au Congo et au Cameroun et, tout récemment, Centrale Nantes à l’île Maurice. Ainsi, les 35 élèves de la première promotion de Centrale Nantes (de huit nationalités) ont fait leur rentrée en octobre sur l’International Campus for Sustainable and Innovative Africa (ICSIA). Outre ces formations techniques, le nouveau campus mauricien accueillera des formations en management, architecture, droit, pharmacie et médecine. 5 000 élèves, toutes disciplines confondues, sont attendus sur le campus mauricien d’ici à 2025.
« Les opportunités qui vont se présenter pour les écoles françaises sur la période 2015-2030 sont équivalentes aux opportunités asiatiques des années 2000 », avertit Pierre Tapie.
Le Monde Afrique organise les 27 et 28 octobre, à Dakar, la troisième édition de ses Débats avec pour thème, cette année, les défis de l’éducation supérieure en Afrique. Il y sera question des universités, de l’adéquation des filières actuelles avec les besoins des entreprises, de l’innovation technologique au service de l’éducation et de la formation des leaders africains. L’entrée est libre, sur inscription. Cliquez ici pour consulter le programme et vous inscrire.
L'enseignement supérieur en Afrique : les vrais chiffres
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