Etudiantes et voilées, elles veulent « continuer à exister dans la société »
Etudiantes et voilées, elles veulent « continuer à exister dans la société »
Par Elvire Camus
Ces étudiantes tentent de trouver un équilibre entre leur volonté de garder leur foulard et leur insertion professionnelle.
Le 19 septembe 2013 dans une classe du collège-lycée La Réussite à Aubervilliers. | LIONEL BONAVENTURE / AFP
A 20 ans, Dhickra B. affiche un parcours scolaire sans faute : brevet mention très bien, baccalauréat mention très bien avec félicitations du jury, études de médecine. Aujourd’hui en deuxième année à la faculté de Clermont-Ferrand, elle hésite entre neurologie, cancérologie et pédiatrie. Et ce n’est pas le hijab qu’elle porte, le voile islamique le plus répandu, qui couvre les cheveux et le décolleté, qui lui fera revoir ses ambitions à la baisse.
Depuis ses 13 ans, cette musulmane pratiquante est toujours parvenue à conjuguer sa décision de porter le voile avec sa scolarité. Dans son collège et son lycée publics, où la loi de 2004 interdit le port du voile aux élèves, elle retirait son hijab chaque matin avant de pénétrer dans son établissement et le remettait le soir après les cours. L’été dernier pendant un stage à l’hôpital, où le personnel de santé est soumis au principe de neutralité religieuse, elle remplaçait son voile par un léger foulard coloré, qui lui couvrait les cheveux mais pas le cou. Lorsqu’un collègue s’est plaint auprès de sa cheffe de service, jugeant sa tenue malgré tout inappropriée, elle a accepté de troquer son foulard contre une charlotte. Ces concessions − car c’est ainsi qu’elle les perçoit − ne sont pas faciles à vivre pour elle, qui considère que son voile fait partie intégrante de son identité. Mais elle est prête à s’adapter. « C’est l’équilibre que j’ai trouvé entre mon choix de porter le voile et le fait de continuer à exister dans la société », explique-t-elle.
Peu de professions ouvertes aux femmes voilées
Cet « équilibre », la plupart des Françaises qui font des études supérieures et portent le hijab le recherchent. Les femmes avec lesquelles nous nous sommes entretenues sont croyantes, elles se sont voilées par pudeur, par modestie ou pour affirmer qu’elles n’étaient « pas uniquement un corps » ; mais toujours par choix. A rebours de la vision que l’on peut avoir en France de la femme voilée passive et contrainte, elles aspirent aussi à des carrières « normales » (pour préserver leur identité nous ne publierons d’ailleurs que leur prénom et l’initiale de leur nom). Mais ne parviennent pas toujours à trouver leur place, dans un pays où peu de professions sont aujourd’hui ouvertes aux femmes voilées et où le principe de laïcité impose la neutralité aux agents de l’Etat.
Pour trouver la sienne, de place, Inès F. prévoit de procéder par étapes. A 25 ans, cette Strasbourgeoise qui porte le hijab depuis six ans se concentre pour l’instant sur le concours de professeur des écoles qu’elle passera en avril. Si tout va bien, s’ensuivront quelques années d’expérience dans l’éducation nationale, où elle ne pourra pas porter le voile pendant ses heures de cours. Une situation qu’elle accepte car elle ne devrait pas durer : ce qui l’intéresse vraiment, c’est l’enseignement alternatif, la méthode Montessori notamment. Elle compte donc quitter le public pour le privé et choisira une école qui l’acceptera avec son hijab. Pas forcément une école coranique, « ça n’est pas le but ». Inès F. anticipe tout de même une période compliquée, confie-t-elle :
« Bien sûr je me suis demandé si j’étais prête à retirer mon voile, même temporairement. Mais je ne veux pas renoncer à la carrière que j’ai choisie. »
Accepter de retirer son voile le temps de ses études, c’est aussi le parti pris par Soumaya A., 19 ans. Actuellement en école d’infirmière en région parisienne, elle est prête à faire ce compromis car « ce qui compte, c’est que je puisse le porter à terme », dit-elle. Quitte à s’orienter en conséquence. La jeune femme a ainsi déjà exclu de travailler dans le public, visant plutôt une carrière en tant qu’infirmière libérale.
« C’est sûr qu’exercer une profession en France en étant voilée c’est très compliqué. Mon voile a beaucoup pesé dans mon orientation », déclare aussi Rym K. qui entame, à 20 ans, sa quatrième année d’étude à Science Po Paris. Elle qui porte le voile depuis ses 15 ans, envisage de poursuivre en thèse et de travailler dans la recherche.
« Il sera plus simple pour moi de garder mon voile car c’est autorisé à l’université », calcule-t-elle. Rym K. a aussi choisi Sciences Po – qu’elle a intégré grâce à la convention d’éducation prioritaire – pour son ouverture à l’international. Tous les étudiants de l’IEP doivent en effet passer leur troisième année d’études à l’étranger. Elle a choisi la Turquie. Là-bas, elle s’est rendu compte qu’il n’était pas forcément compliqué de porter le voile, qu’il ne fallait pas nécessairement s’en justifier systématiquement. « J’ai senti que la France n’était pas le seul endroit où je pouvais avoir un avenir », dit-elle presque déçue de comprendre que ça n’était pas forcément dans son pays qu’elle serait la plus épanouie. Elle se souvient encore du commentaire d’une élève qui, quand elle était en première année, l’a comparée à une autre fille voilée :
« C’est marrant, vous portez toutes les deux le voile mais vous n’êtes pas pareilles ».
Pour elle, deux femmes, parce qu’elles sont voilées, devaient être d’accord sur tout. Des propos « pas malveillants », mais qui illustrent, selon Rym K., le malentendu français par rapport à ces femmes, qui auraient toutes le même caractère. Sa décision n’est pas encore prise, mais elle songe à partir travailler à l’étranger : « J’ai envie de me prendre la tête sur autre chose que mon identité de femme voilée. »
« Plus simple » à l’étranger
Nombreuses sont les étudiantes qui, dans sa situation, constatent qu’il est « plus simple » de s’insérer socialement et professionnellement à l’étranger. Pas dans des pays arabes ; les destinations les plus citées sont la Grande-Bretagne, le Canada et l’Allemagne. Des pays populaires auprès de toute une génération d’étudiants et d’étudiantes, voilées ou non. En plus d’être considérées comme plus attractives en termes d’opportunités, ces destinations sont jugées « ouvertes » car les femmes voilées y exercent des métiers « visibles » comme pharmaciennes, vendeuses, policières…
« J’ai vu des femmes voilées qui pensaient comme des Allemandes “normales” », s’étonne encore Akila C. qui a étudié en Allemagne. Pour cette jeune femme de 25 ans qui porte le voile depuis trois ans, en France, les femmes voilées sont « presque schizophrènes », car contraintes de retirer leur voile en fonction des circonstances. Fraîchement diplômée de l’EDHEC, une prestigieuse école de commerce sise à Lille, elle n’a postulé à aucun poste en France, persuadée que ça serait inutile. « Il n’était pas question que je perde mon temps à envoyer 100 CV ici », affirme-t-elle. Elle a en revanche rapidement trouvé du travail dans son secteur, le marketing, à Birmingham, en Angleterre.
Hannane B. a sauté le pas après avoir accumulé les déceptions en France. « J’en ai pleuré. Mais j’ai décidé de partir », raconte cette étudiante en droit de 29 ans qui a souhaité que seul son deuxième prénom soit publié, par crainte que son témoignage ne nuise à sa recherche d’emploi. Une fois son master en droit des affaires en poche, elle, qui « n’imagine pas » vivre sa foi sans le voile qu’elle porte depuis ses 23 ans, a cherché un stage pendant un an et demi dans un cabinet d’avocats. Pour justifier leurs refus, ses interlocuteurs ont invoqué « le principe de laïcité », même si la loi n’interdit pas le port du voile au tribunal et dans les cabinets d’avocats, ou, plus directement, « l’image de l’entreprise ». Hannane B. a fini par trouver deux stages non rémunérés grâce à des amies. Rien de plus. Avant de partir tenter sa chance aux Etats-Unis, elle gardait des enfants pour financer ses études, faute de trouver un job étudiant dans sa branche. « J’aime bien les enfants !, tient-elle à préciser. Mais ça n’est pas ma passion, je n’ai jamais voulu être mère au foyer. »
Dhickra B., l’étudiante en médecine, est moins pessimiste sur son avenir, qu’elle n’imagine pas ailleurs qu’en France : « Partir serait pour moi un aveu d’échec. » Et puis elle a encore au moins huit ans d’études devant elle. D’ici-là, les choses ont le temps d’évoluer prédit-elle. A l’hôpital, où elle veut exercer, « les règles seront peut-être durcies… ou assouplies ! »
Alors elle se prend à espérer. « Dans huit ans, j’espère que l’on s’intéressera moins à ce que je porte sur la tête qu’à ce qu’il y a dedans. »