Le secrétaire d’Etat au commerce extérieur et au tourisme, Matthias Fekl, à Paris, le 5 juillet. | ERIC PIERMONT / AFP

Comment tenir compte des inquiétudes croissantes des citoyens à l’égard des accords de libre-échange sans pour autant saborder la politique commerciale, au cœur de la construction européenne depuis sa genèse ? C’est la question épineuse à laquelle tente de répondre le secrétaire d’Etat au commerce extérieur, Matthias Fekl, confronté depuis sa nomination en 2014 à deux négociations transatlantiques explosives : le Tafta (ou TTIP), avec les Etats-Unis – pour l’instant en sommeil, en attendant l’installation de la prochaine administration américaine –, et le CETA, avec le Canada, signé fin octobre à l’issue d’un psychodrame avec la Wallonie, qui a bien failli le couler.

« La crise démocratique européenne se répercute sur la politique commerciale, qui a été négociée pendant trop longtemps dans l’opacité et validée selon des procédures trop éloignées des citoyens et des parlements », estime M. Fekl, qui a présenté, mardi 8 novembre, une série de propositions pour réformer la conduite des négociations commerciales européennes. Une initiative qu’il présente comme l’aboutissement des réflexions nourries au Quai d’Orsay depuis deux ans, qui fait figure d’ultime offensive au crépuscule du quinquennat.

  • Accroître la transparence

La France souhaite aller au-delà des avancées des dernières années, qui ont notamment conduit à la publication des mandats de négociation, autrefois confidentiels. Pour briser le secret des négociations à huis clos, M. Fekl propose que leur contenu soit immédiatement et systématiquement rendu public après chaque cycle de discussion (« sauf exception dûment justifiée »), de même que l’identité et le pedigree des négociateurs.

Il souhaite également rendre publiques les prises de position exprimées par les ministres du commerce européens lors de leurs sommets – une manière de mettre chacun devant ses responsabilités, alors que la responsabilité est aujourd’hui diluée dans une prise de position officielle des Vingt-Huit, qui ne reflète pas les débats en leur sein.

  • Impliquer les parlements

La France aimerait pouvoir inviter à la table des négociations certains parlementaires (européens ou nationaux), comme c’est déjà possible avec les membres du Congrès américain, afin de renforcer leur implication dans le processus, plutôt que de les cantonner au rôle de chambre d’enregistrement. « Il ne faut pas que les parlements n’aient le choix qu’entre un “oui et un “non à la fin des négociations », estime-t-il.

  • Impliquer les Etats membres

Matthias Fekl regrette que les Etats européens donnent un blanc-seing à la Commission européenne au moment où ils lui confient un mandat de négociation. Il souhaite que ces mandats soient révisables, voire périssables si la négociation s’éternise, afin de les adapter plus facilement aux évolutions de la réalité.

  • Cibler davantage les négociations

Jugeant que « la juxtaposition de dizaines de négociations bilatérales est préjudiciable » à l’Europe, le secrétaire d’Etat invite Bruxelles à réduire ses ambitions, quitte à redéployer des effectifs sur la vérification de l’application déjà en vigueur. Il souhaite que chaque nouvelle négociation soit précédée d’un processus de consultation publique et la publication d’études d’impact économique émanant d’au moins trois écoles de pensée différentes… sans qu’on sache ce qu’il se passera si elles s’avèrent contradictoires.

  • Aider les « perdants »

Paris souhaite que l’Europe identifie plus clairement les futurs gagnants et perdants des accords commerciaux pour pouvoir les aider, secteur par secteur et zone par zone. Elle plaide aussi pour renforcer le budget de 150 millions d’euros annuels aujourd’hui mobilisable pour soutenir les « perdants » de la mondialisation.

  • Instaurer des contraintes sociales et environnementales

Matthias Fekl prône la création des mécanismes contraignants pour faire appliquer les exigences environnementales et sociales des accords de libre-échange, aujourd’hui complètement improductives. Avec l’objectif que « les négociations commerciales contribuent au succès de l’accord de Paris sur le climat ».

Autant de propositions que la France entend présenter courant novembre à la Commission européenne, et inscrire à l’agenda du Sommet mondial du Partenariat pour un gouvernement ouvert, à Paris début décembre. Si M. Fekl fait valoir que certaines ont déjà « reçu un écho favorable » de la part de plusieurs gouvernements sociaux-démocrates européens, il est difficile de savoir à quelle échéance elles pourraient éventuellement se concrétiser. Le secrétaire d’Etat français se refuse en tout cas à exiger de la Commission européenne qu’elle reprenne la vingtaine de négociations en cours sur ces bases, arguant que « l’Europe ne peut avancer si la France réclame des choses toute seule ».

Matthias Fekl se résigne aussi à soutenir l’accord CETA en l’état, même si celui-ci ne comporte aucun mécanisme contraignant pour faire appliquer les objectifs climatiques de l’accord de Paris. « Les négociations se sont terminées en 2014, il faut l’accepter », se justifie-t-il – passant rapidement sur le fait que les négociations ont été depuis rouvertes pour réformer le controversé mécanisme d’arbitrage du traité, montrant qu’une telle démarche n’était pas impossible.

Lire notre décryptage : CETA et climat font-ils bon ménage ?

La fin du Tafta toujours en ligne de mire

« La fin des négociations sur le Tafta serait une décision très importante », a répété mardi Matthias Fekl, tout en reconnaissant que la position française est encore minoritaire au sein des Vingt-Huit.

Pour le secrétaire d’Etat, le traité transatlantique est emblématique des dangers d’une négociation sans réciprocité, dans laquelle l’UE fait preuve d’« une forme de naïveté ». « On ne négocie pas avec des partenaires qui continuent d’imposer leur droit de manière extraterritoriale avec une brutalité inouïe, et qui refusent toute réciprocité sur l’accès aux marchés publics », a poursuivi M. Fekl, toujours déterminer à faire cesser officiellement la négociation pour qu’elle reparte sur de meilleures bases.