De Pikachu à « Joey Stari » : les mille et une manières de baptiser un Pokémon
De Pikachu à « Joey Stari » : les mille et une manières de baptiser un Pokémon
Par William Audureau
Les jeux « Pokémon Soleil » et « Pokémon Lune », qui sortent mercredi 23 novembre, permettent de rebaptiser ses créatures virtuelles, dont les noms ont déjà connu un destin mouvementé.
Ils ont pour noms officiels Brindibou, Flamiaou et Otaquin. Les joueurs ne les connaissent pas encore bien, et pour cause : ce sont les nouvelles têtes d’affiche virtuelles de Pokémon Soleil et Pokémon Lune, qui sortent mercredi 23 novembre sur Nintendo 3DS. En tout, la série, désormais vieille de vingt ans, compte pas moins de 802 espèces, et autant de petits noms affectueux inventés par des traducteurs intrépides.
Brindibou, Flamiaou et Otaquin, que Pixels vous propose de rebaptiser « Hiboule », « Moustaflam » et « Louis de Funès »
Si aujourd’hui, quasi tous les Pokémon ont un nom français, ce ne devait pas être le cas à l’origine, et c’est la possibilité d’un jeu de mot scabreux qui a pesé dans la balance, rappelle dans 20 Minutes leur premier traducteur officiel, Julien Bardakoff :
« Quand la franchise Pokémon est arrivée, j’ai dû travailler sur un argumentaire pour persuader l’équipe de Nintendo qu’il fallait traduire le nom des personnages. Ils voulaient au départ les garder tous en japonais ! Ils ont changé d’avis quand je leur ai dit que Hitokage [le Salamèche japonais] voulait dire chier [caguer] en français. »
De la traduction au petit nom
Depuis, chaque grande aire linguistique a ses propres noms. Le premier Pokémon de type Feu s’appelle ainsi Hitokage en japonais, mais Chamander en anglais, Glumanda en allemand, et Salamèche en français.
Bulbizarre, Salamèche et Carapuce, les trois noms français des Pokémon de départ, en 1998.
Une créature a toutefois conservé son appellation nippone d’origine, la plus célèbre : Pikachu, relate Julien Bardakoff dans un article interactif de Libération.
« “Chu” c’est le cri de la souris, et “pika” c’est l’onomatopée d’une étincelle électrique. Les Japonais ont des onomatopées pour tout… Donc Pikachu : la souris électrique. Et il y a un côté mignon parce que “chu” est aussi le bruit des bisous en japonais. Celui-là, ils ne voulaient pas le traduire. On ne traduit pas le nom des mascottes, il fallait que ça soit international… »
Pour les autres, il les a tous rebaptisés, ou presque, en veillant à chaque fois à conserver l’humour des jeux de mots japonais d’origine, tout en restant fidèle au look du Pokémon. Et de donner l’exemple de la tortue d’eau Zenigame, littéralement « tortue-pièce de monnaie ». « La traduction Carapuce rend bien compte de ça, [c’est] une tortue de la taille d’une puce. »
Pikachu, la mascotte de la série, a conservé le même nom sur tous les territoires. | Nintendo
« Dimension affective »
C’est là où le travail d’imagination du traducteur s’arrête que celui du joueur commence. Contrairement aux autres jeux reposant sur un principe proche, Pokémon permet en effet de renommer soi-même chaque créature capturée.
« Dès le début la licence, les Pokémon sont présentés comme des animaux qui assistent les humains, mais afin de gommer les interprétations négatives qui pouvaient en résulter (esclavagisme animal, combats, etc.), il fallait à tout prix cette dimension affective. Or, nommer, c’est tisser un lien évident, et surtout ça permet de domestiquer le Pokémon », analyse Loup Lassinat-Foubert, coauteur de Génération Pokémon : vingt ans d’évolution (Third Editions, 2016).
Certains ont des Yorkshire, d’autres élèvent des Pokémon. | Nintendo
Et ça marche : de nombreux joueurs se prêtent au jeu, et inventent pour chaque nouvelle bestiole attrapée un petit nom qui lui sera propre, et le démarquera des autres Pokémon. Mathieu, par exemple, a appelé son Salamèche « Léa », « parce que ça me faisait penser à Léa Salamé ». Mélanie Christin, aujourd’hui créatrice de jeux, avait parmi ses protégés Ectoplasmou, Tata Cruelle et Moumoule.
Jeux de mots, allusions à des personnalités politiques, clins d’œil littéraires… Quentin les a tous faits, de son Stari rebaptisé « Joey Stari », allusion au rappeur du groupe NTM, à « Dumas », comme l’auteur des Trois Mousquetaires, pour « Dardagnan » l’abeille escrimeuse, en passant par « Balladur » pour Rondoudou, le Pokémon rose et mou.
« Je vous demande de vous arrêter. »
Qu’importe, l’important est de pouvoir tisser une relation personnelle à ce qui n’est à l’origine qu’un dessin de pixels, insiste Loup Lassinat-Foubert :
« Les Pokémon sauvages n’ont que le nom de leur espèce, mais “le” Pokémon qui nous accompagne, il a son propre nom, il est donc différent des autres et unique. C’est aussi toute la force de Pokémon, car deux créatures de la même espèce peuvent être très différentes (stats, capacités, même la couleur peut varier), et la possibilité de renommer et de mettre en avant sa propre individualité à travers la dénomination joue un rôle important. »
D’autres ont même un nom fétiche qu’ils conservent d’épisode en épisode, même quand l’espèce de départ change. « Jusqu’à un âge avancé j’appelais toujours mon premier Pokémon Zaz, se remémore Lucille sur Twitter. C’était le surnom d’une copine tchèque et je trouvais que ça sonnait bien pour un nom d’animal de compagnie. C’est resté. Puis il y a eu la chanteuse… »
Inspirations alimentaires
Rebaptiser son Pokémon fait même partie des obligations sous-jacentes du « Nuzlocke Challenge », un défi populaire consistant à jouer aux jeux en s’imposant des règles relevant drastiquement sa difficulté.
Le bon goût et la tendresse ne sont bien sûr pas obligatoires. Sous la pression de sa copine, Maxime a quant à lui baptisé « Lait de vache » son Ossatueur, un Pokémon qui se bat avec des fémurs, « pour qu’il ait les os plus solides ».
Ossatueur, le Pokémon qui a besoin de boire du lait, c’est bon pour les os. | Nintendo
Mathieu, lui, a renommé « Lasagnes » son Galopa, un Pokémon équestre de type feu. La logique ? Une association d’idées, suite au scandale des lasagnes à la viande de cheval. « Ca m’est venu tout seul », confie-t-il en souriant.
« L’appeler Pikachu, c’est comme si je t’appelais “humain” »
Pour autant, tous les joueurs ne sont pas adeptes des petits noms personnalisés. Fabien se l’est interdit pour des raisons pratiques : « Au départ, ça partait du fait que je capturais les 150 Pokémon [de la première génération], et que j’avais un exemplaire de chaque. Pas évident de se souvenir des 150 s’ils s’appellent Popol, Titéton, etc. »
Galopa, noble Pokémon équestre de type Feu. (certains l’appellent « Lasagnes », tout existe) | Nintendo
Pour El Dindon, la série n’est pas cohérente avec elle-même, à partir du moment où le dessin animé montre des dresseurs qui appellent leurs Pokémon par des noms génériques d’espèce et non par des noms particuliers. « Pourquoi Sacha [le héros] appelle Pikachu “Pikachu” ? C’est comme si je t’appelais “humain” », tacle-t-il.
D’autres ont mis au point des stratagèmes retors pour prendre l’ascendant dans les duels, mais qui se focalisent sur le héros plutôt que sur ses créatures. « Ce n’était pas pour un Pokémon, se remémore François, mais mon meilleur pote appelait toujours son personnage “jet’aime”, parce qu’il aimait bien que le rival ait l’air bête. »