Les urnes américaines ont rendu leur verdict. En janvier 2017, Donald Trump sera donc le 45e président des Etats-Unis.

La question, pour nous Africains, est de savoir quel est le sens de cette victoire pour le continent. Celui-ci, il est vrai, a peu occupé une campagne américaine qui a vite tourné à la foire d’empoigne. Néanmoins, aussi curieux que cela paraîtra aux nombreux détracteurs du futur président américain, celui-ci avait un programme de campagne, dans lequel figurait un volet consacré à la politique étrangère. Le candidat Trump promettait notamment « d’avancer les intérêts nationaux fondamentaux des Etats-Unis, de promouvoir la stabilité régionale, et de parvenir à une désescalade des tensions dans le monde ».

Pour avoir exprimé ses réserves quant à l’interventionnisme obsessionnel qui a caractérisé la politique étrangère américaine depuis une quinzaine d’années et a conduit à une déstabilisation du monde, il a été qualifié « d’isolationniste ». C’était manifestement une insulte qui, compte tenu des effets de cette politique hégémonique, renseigne sur la radicalité de l’opinion dominante.

Longue tradition de non-ingérence

Il est bon de rappeler que l’isolationnisme, doctrine théorisée par John Quincy Adams, alors secrétaire d’Etat de l’Union dans le cabinet du président James Monroe, a longtemps guidé la politique étrangère américaine. Celui-ci la résumait ainsi dans un discours en 1821 : « Partout où le standard de la liberté et de l’indépendance triomphera, il y aura le cœur de l’Amérique, ses bénédictions, ses prières. Mais elle ne s’aventure pas à l’étranger, à la recherche de monstres à détruire. Elle souhaite la liberté et l’indépendance de tous. Elle défend et préserve uniquement les siennes. » De ce point de vue, Donald Trump, qui en appelait dans son programme à « en finir avec la stratégie actuelle de refaçonner le monde et d’encourager les changements de régime » se situe dans une longue tradition américaine. Ce n’est pas lui qui est original, ce sont ses détracteurs qui le sont.

Pour revenir à l’Afrique, il est facile d’imaginer le soulagement de nombre d’autocrates africains à l’annonce de la victoire de M. Trump. Le bellicisme de Mme Clinton, manifesté par son soutien à la guerre en Irak, son rôle dans la déstabilisation de la Libye, sa position radicale dans le conflit syrien et sa volonté de revenir aux grandes heures de la Guerre Froide, avait en effet de quoi inquiéter les cancres africains de la bonne gouvernance et de la démocratie.

Election de Trump : « C’est une bonne nouvelle pour les présidents africains contestés »
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Mais ils auraient tort de sabler le champagne. Nous ne sommes plus au XIXe siècle, et M. Trump, quand bien même il le voudrait, ne saurait se payer le luxe de marcher dans les pas du fils du président fondateur John Adams. La place des Etats-Unis dans l’économie mondiale et son rôle dans l’équilibre du monde obligeront le président Trump à revoir les positions du candidat Trump. La persistance de régimes dictatoriaux dans de nombreux pays d’Afrique, notamment francophone, menace l’équilibre de cette zone, et par conséquent met en danger les intérêts nationaux américains que le candidat républicain se proposait de défendre. Le nouveau président américain sera donc peut-être moins lyrique que son prédécesseur, moins agressif que sa concurrente démocrate, mais conscient de l’existence de graves périls dans la zone francophone de l’Afrique, il ne saurait se montrer indifférent.

Ce que nous pouvons faire avec l’Amérique

Les sociétés civiles africaines devraient donc saisir cette opportunité pour tenter d’influencer la politique africaine de la nouvelle administration américaine. Il est temps d’arrêter de se demander ce que l’Amérique « va faire par nous », de se contenter d’affirmer qu’elle ne fera rien d’autre que défendre ses intérêts, ou de la critiquer par principe.

Il est temps au contraire de se demander ce que nous pouvons faire avec l’Amérique. Nous pouvons mettre sur pied une diplomatie de la société civile, qui contrebalancera celle des Etats. Pour cela, il faut créer ou multiplier les organisations citoyennes à vocation politique dans tous les pays d’Afrique francophone. Celles-ci pourraient exposer leur vision de l’Afrique dans un document commun.

Si la nouvelle orientation américaine va dans le sens de cette vision, alors il faudra travailler étroitement avec les représentations américaines dans nos pays. Dans le cas contraire, il faudra expliquer à l’administration Trump que l’intérêt des Etats-Unis est dans la stabilité de l’Afrique francophone, et que la stabilité de cette zone requiert, non pas de « refaçonner » ces pays à l’image des Etats-Unis, pas davantage de collaborer aveuglément avec des régimes illégitimes, mais bien d’être sensible aux aspirations des peuples à plus de justice, à une meilleure gouvernance, et à une démocratie souveraine. Si ce travail n’est pas effectué, alors il est à craindre que la nouvelle administration s’accommodera, comme les précédentes, d’autocrates qui courtiseront assidûment le nouveau « maître du monde ».

Pour ce qui nous concerne, l’enjeu de l’élection de M. Trump est donc moins sa vision de l’Afrique que notre attitude vis-à-vis des Etats-Unis. Allons-nous laisser le champ libre à nos autocrates ou allons-nous prendre sur nous d’influencer l’implémentation de la nouvelle politique américaine ?

Yann Gwet est essayiste camerounais.