En Syrie, le crime de guerre est devenu la norme
En Syrie, le crime de guerre est devenu la norme
Editorial. La situation empire chaque jour un peu plus dans la deuxième ville du pays, qui subit les bombardements incessants des forces de Bachar Al-Assad et de ses alliés.
Un Syrien évacue une femme prise au piège d’un immeuble bombardé, à Alep, le 20 novembre. | THAER MOHAMMED / AFP
Editorial du « Monde ». Il y a un vaincu à Alep : la population civile. Depuis une semaine, les 275 000 habitants de la partie est de la deuxième ville de Syrie vivent sous un déluge de feu. Ce n’est pas une figure de rhétorique. Heure après heure, ils se terrent dans les ruines, fuyant missiles, roquettes, obus, bombes à fragmentation, barils de gaz toxiques et autres projectiles que déversent sur eux l’aviation du régime appuyée par ses supplétifs iraniens, irakiens et afghans. Le crime de guerre est devenu la norme – à peu près tolérée par tout le monde, hors quelques belles âmes droit-de-l’hommistes.
L’offensive du régime de Damas vise à venir à bout des quartiers de la deuxième ville de Syrie encore aux mains de quelque 8 000 rebelles. Ceux-ci sont répartis entre différents groupes dont au moins un appartient à la mouvance djihadiste. Pour le président Bachar Al-Assad, la chute d’Alep, ville qui lui échappe en partie depuis l’été 2012, serait une remarquable victoire, militaire et politique. Elle marquerait la fin du dernier grand bastion urbain encore tenu par la myriade de groupes, souvent divisés entre eux, qui forment l’opposition armée au régime. Elle placerait l’essentiel du « pays utile » et plus des deux tiers de la population sous le contrôle de Bachar Al-Assad et de ses soutiens étrangers. Elle serait un tournant sans doute décisif dans cette guerre de cinq ans.
Technique de siège
Hôpitaux, écoles, centres de ravitaillement, marchés : les chasseurs syriens et russes, les hélicoptères, les artilleurs visent à dessein toutes les infrastructures civiles. Sous le pilotage des Gardiens de la révolution iraniens et de l’état-major russe, le régime a perfectionné une technique de siège qui lui a permis de reconquérir bien des villes. Il faut acculer les civils au départ, en leur garantissant un couloir de sortie. Mais à Alep, comme ailleurs, nombre de civils hésitent. Ils ont peur, à juste titre, du sort que leur réserve la soldatesque du régime. Ils sont aussi empêchés de partir, çà et là, par les rebelles eux-mêmes.
La tragédie n’a pas épargné Alep-Ouest, aux mains des forces de Damas. Là aussi, des écoles et des dispensaires ont été touchés de plein fouet par les tirs des rebelles ; là aussi, des écoliers sont morts sous les obus.
Ainsi va la guerre civile qui ravage la Syrie. Dans cette dernière affaire, la Russie a la main haute, avec une manière d’acceptation tacite des Etats-Unis, qu’il s’agisse de Barack Obama ou de Donald Trump. A Alep, au sol, l’offensive est menée par des milices chiites irakiennes et afghanes, sous la tutelle de l’Iran – c’est sans doute sur ces étranges forces-là, aussi extrémistes que les djihadistes sunnites, que compte un François Fillon pour assurer la défense des chrétiens d’Orient… Cette coalition russo-chiite ne manquera pourtant pas d’alimenter l’extrémisme sunnite pour les années à venir.
L’une des autres guerres, à laquelle ne participent ni Damas ni la Russie, est celle conduite contre l’Etat islamique. Là, la coalition que pilote Washington en Syrie marque des points et prépare une offensive contre Rakka, le fief de l’EI. Mais là aussi, c’est le règne des milices pilotées par l’étranger (Turquie, Arabie saoudite etc.). La guerre ne s’arrêtera pas avec la chute d’Alep. Et, ce jeudi 24 novembre, des barils d’explosifs viendront à nouveau tuer et mutiler dans les ruines d’une ville qui fut l’un des joyaux de la région.