Les danseurs d’« Avant le ciel » s’inspirent des mouvements effectués par des amateurs. | Marie Hennard

Le chorégraphe et vidéaste Philippe Jamet aime les gens. Ce n’est pas un amour à la légère, mais une longue passion qui dure depuis plus de vingt ans. Il les rencontre, les interroge, et en extrait la moelle de ses pièces et films. L’addition donne le vertige : une douzaine de spectacles en vingt ans, plus d’une vingtaine de films et environ 2 500 personnes de tous les âges, tous les genres, toutes les couleurs interviewées dans le monde entier.

Chaque chorégraphie nécessite un travail d’enquête. Et ce depuis 1995, et le spectacle Traces : Jamet, ancien éducateur passé par la danse classique et contemporaine auprès du maître américain Merce Cunningham, l’avait conçu avec des retraités. Une révélation. « J’ai eu la sensation d’être au plus proche de la vie, de l’autre, de moi, et ainsi de pouvoir me reconnaître et reconnaître l’autre », explique celui dont les spectacles sont autant des représentations de danse que des installations vidéo.

« Il m’arrive aussi de flasher sur des gens en me promenant et de leur demander de participer à mon travail. » Philippe Jamet

Pour sa nouvelle pièce, intitulée Avant le ciel, il s’est demandé « ce [qu’il] attendait de la vie, ce qui [le] rendait vivant aujourd’hui ». Des préoccupations qu’il résume en une seule interrogation : « Qu’est-ce qui est important pour moi intimement ? » Il a publié des annonces dans les journaux des théâtres avec lesquels il collabore, comme la Maison de la culture de Bourges et la Scène nationale d’Évry, et poste des appels sur les réseaux sociaux, en quête d’une quinzaine de personnes qui accepteraient de répondre à la question. « Il m’arrive aussi de flasher sur des gens en me promenant et de leur demander de participer à mon travail », glisse cet homme direct et pudique.

S’inspirer des gestes, puiser dans les phrases

Philippe Jamet filme alors les volontaires dans la rue, puis chez eux, en train d’écrire la question sur une feuille, avant de danser au gré de leur fantaisie entre leurs meubles. Enfin, ils répondent à l’interrogation en quelques phrases. Avec une touche d’empathie nimbée de respect, l’artiste auréole chacun de beauté. Chaque vidéo, d’une durée d’à peine trois minutes, nécessite quatre heures de tête-à-tête avec chaque participant.

Une fois ce travail d’enquête achevé, il demande à ses danseurs de s’inspirer des gestes des amateurs pour nourrir leurs chorégraphies, de puiser dans leurs phrases et mouvements pour créer le spectacle. « Nous avons aussi ajouté d’autres questions, précise-t-il. Elles redonnent du lien avec le film et sont proches d’une partition musicale. »

À chaque rencontre, chaque anonyme croisé, de nouvelles interrogations se posent. « Avant le ciel s’inscrit dans le prolongement de mes préoccupations, mes doutes, mes empêchements, mes désirs et la possibilité de créer et partager. C’est une manière de m’étudier moi-même. Mais plus le temps passe et moins j’attends de réponses à mes questions qui, elles, demeurent. » Autant de raisons de continuer à enquêter.

« Avant le ciel », de Philippe Jamet. Atelier de Paris Carolyn Carlson, Paris 12e, du 14 au 16 décembre. Festival Art Danse à l’Opéra de Dijon, le 25 janvier 2017.