En Pologne, crise de l’opposition sur fond de crise parlementaire
En Pologne, crise de l’opposition sur fond de crise parlementaire
Par Jakub Iwaniuk (Varsovie, correspondance)
Le dirigeant du Comité de défense de la démocratie, Ryszard Petru, est affaibli par une affaire de conflit d’intérêts.
Le chef de file de Nowoczesna, Ryszard Petru, en octobre 2015. | JANEK SKARZYNSKI/AFP
Les mauvaises nouvelles s’accumulent pour l’opposition polonaise. Au cœur d’une crise parlementaire sans précédent, cette dernière se retrouve en proie aux divisions et souffre d’une image dégradée dans l’opinion publique. La situation est aggravée par un scandale de facturations qui éclabousse le Comité de défense de la démocratie (KOD). Ce mouvement citoyen symbolise depuis plus d’un an la lutte contre les dérives autoritaires de la majorité ultraconservatrice du parti Droit et justice (PiS).
Mardi 10 janvier, les négociations entre la majorité et les partis d’opposition pour mettre fin à la crise parlementaire se sont soldées par un échec. Depuis le 16 décembre, les députés de la Plate-forme civique (PO, centre droit) et Nowoczesna (Moderne, libéraux) occupent l’hémicycle du Sejm, la chambre basse du Parlement, pour protester contre le vote du budget pour l’année 2017 dans des conditions qu’ils jugent illégales. Le chef du PiS, Jaroslaw Kaczynski, avait qualifié cette occupation du Parlement de « tentative de putsch ».
Face à l’intransigeance de la majorité, l’opposition se retrouve en ordre dispersé. Le chef de file de Nowoczesna, Ryszard Petru, s’est prononcé pour la fin de l’occupation, en vue de la séance plénière de mercredi, et a annoncé que son parti allait procéder à « une autre forme de protestation ». Le président de la Plate-forme civique, Grzegorz Schetyna, a pour sa part boudé les réunions de conciliation.
Mais cette occupation de l’Hémicycle – abondamment partagée sur les réseaux sociaux – ne trouve pas toujours un bon écho dans l’opinion publique, avec ces images de députés se relayant jour et nuit, parfois dans une ambiance festive, ou fouillant les casiers des députés de la majorité. D’autant que l’opposition a été éclaboussée par l’affaire du départ en vacances au Portugal de Ryszard Petru avec une députée de son parti, pendant que ses élus tenaient la permanence dans l’Hémicycle pendant les fêtes. L’intéressé a reconnu après coup que c’était « embarrassant ».
Profond malaise
L’affaire la plus gênante pour l’opposition concerne le responsable du KOD, Mateusz Kijowski, qui est devenu au fil des manifestations de l’opposition une véritable icône de la lutte pour la préservation de l’Etat de droit en Pologne. Le quotidien conservateur Rzeczpospolita a révélé, jeudi 5 janvier, que la société de services informatiques qu’il gère avec sa femme a facturé pour près de 90 000 zlotys (20 000 euros) de prestations au comité social du KOD.
Selon les experts interrogés par les médias, ces services étaient largement surfacturés, et M. Kijowski, qui était en même temps émetteur des factures et prestataire, s’est retrouvé dans une position de conflit d’intérêts. L’affaire a provoqué un profond malaise au sein du KOD, dont les finances dépendent exclusivement de dons, et dont la totalité des membres travaille à titre bénévole.
« En mon nom, et aussi au nom de tous ceux qui ont contribué au fait que le KOD s’est retrouvé dans une situation de crise, je vous présente mes plus plates excuses, s’est justifié M. Kijowski dans un communiqué. Le fait que ni la loi ni les principes internes du Comité social n’ont été enfreints ne signifie pas que tout est lisible et transparent. J’ai donné des occasions d’attaquer le KOD, ce qui pèse sur les milliers d’activistes et de sympathisants engagés. »
Plusieurs membres du conseil d’administration du KOD ont annoncé qu’ils allaient commander un « audit externe » sur les finances de l’organisation. « Ma confiance en Mateusz Kijowski est ébranlée », a commenté le vice-président du KOD, Radomir Szumelda. Une situation qui laisse présager une guerre des chefs en vue des élections internes au Comité, qui devraient se tenir en mars. M. Kijowski a annoncé qu’il n’a pour l’heure aucune intention de renoncer à ses fonctions.
« M. Kijowski a perdu la confiance de nombreux membres, nous confie Katarzyna Wyszomirska, chargée au KOD des questions numériques pour la région de Varsovie. Les gens sont partagés. Certains disent qu’ils vont mettre à la poubelle leur carte de membre. D’autres que le KOD, ce n’est pas M. Kijowski, mais les citoyens, et qu’il n’y a aucune raison de ne pas sortir dans la rue demain, compte tenu de la radicalisation croissante du pouvoir. »
Cette affaire embarrasse l’ensemble de l’opposition, alors que MM. Schetyna et Petru avaient pris pour habitude de s’afficher aux côtés de M. Kijowski durant les manifestations. « La situation dans laquelle s’est retrouvé M. Kijowski est correcte d’un point de vue légal, mais incorrecte d’un point de vue éthique, a commenté Ryszard Petru. J’attends de lui des explications et un nettoyage de cette situation. » Selon les dernières études d’opinion, le parti au pouvoir dirigé par Jaroslaw Kaczynski reste le plus populaire, avec 35 % des intentions de vote, contre 17 % pour la Plate-forme civique et 13 % pour Nowoczesna.