Affaire Tefal : l’inspectrice du travail Laura Pfeiffer remporte une victoire contre sa hiérarchie
Affaire Tefal : l’inspectrice du travail Laura Pfeiffer remporte une victoire contre sa hiérarchie
Par Bertrand Bissuel
La justice a reconnu comme accident de service le choc psychologique subi par l’inspectrice après un « clash » avec son chef.
Laura Pfeiffer a gagné une manche contre sa hiérarchie. Cette inspectrice du travail, basée à Annecy, a obtenu de la justice que le choc psychologique qu’elle avait subi, à la suite d’un « clash » avec son chef, soit reconnu comme accident de service. La décision, rendue le 30 décembre 2016 par le tribunal administratif de Grenoble, vient d’être révélée par l’agence de presse spécialisée AEF. Il s’agit là d’un énième rebondissement dans « l’affaire Tefal », un dossier gigogne qui a causé de violentes turbulences au sein du ministère du travail.
A l’origine du litige, il y a un contrôle effectué, en janvier 2013, par Mme Pfeiffer dans l’usine Tefal de Rumilly (Haute-Savoie). Elle demande à la direction de l’établissement de renégocier l’accord d’entreprise sur le temps de travail, celui-ci étant irrégulier aux yeux de l’inspectrice du travail. S’ensuit un bras de fer entre elle et Tefal. Le fabricant d’accessoires de cuisine, s’estimant victime d’un harcèlement injustifié de la part de la fonctionnaire, interpelle Philippe Dumont, le supérieur hiérarchique de celle-ci.
Le 19 avril 2013, M. Dumont et Mme Pfeiffer ont un long tête-à-tête à ce sujet. Il lui recommande d’adoucir son comportement à l’égard de Tefal ; elle le prend mal. La discussion tourne à l’orage. Très perturbée par cet épisode, Mme Pfeiffer consulte son médecin qui lui prescrit trois arrêts de travail successifs. Elle réclame ensuite que ces congés maladie soient reconnus comme accident de service – ce qui permet à l’agent de conserver l’intégralité de sa paye durant la période d’arrêt. La hiérarchie rejette sa requête. Mme Pfeiffer décide alors de contester ce refus devant le tribunal administratif.
Celui-ci lui a donné gain de cause à l’inspectrice sur toute la ligne. Pour le juge, « les troubles dont souffre la requérante sont intervenus ensuite d’un entretien houleux au cours duquel son supérieur hiérarchique l’a vivement prise à partie et a remis en cause ses compétences ». « La violence verbale subie par la requérante, dont la réalité n’est pas discutée, et la soudaineté de celle-ci permettent de considérer que les troubles présentés par la requérante sont dus à un accident », poursuit le tribunal. Il fait aussi valoir que « la réalité de la pathologie et le lien direct entre ses arrêts-maladies et le service ont été notamment constatés par le (…) médecin du travail », ainsi que par un autre docteur. Dès lors, la décision de refus opposée à Mme Pfeiffer « doit être annulée », conclut le tribunal.
Condamnation pour violation du secret professionnel
Le « clash » entre les deux fonctionnaires a connu des prolongements qui sortent de l’ordinaire. Car plusieurs mois après cette altercation, Mme Pfeiffer a reçu la copie de courriels émis ou reçus par la direction de Tefal. Transmises par un salarié de l’usine, Christophe M., qui se les était procurées frauduleusement, ces correspondances électroniques pouvaient laisser penser que les patrons du fabricant d’articles de cuisine avaient cherché à obtenir la mutation de l’inspectrice du travail en intervenant auprès de M. Dumont. Et que ce dernier se trouvait dans une relation de connivence avec Tefal.
Convaincue que sa hiérarchie relayait les pressions de Tefal, Mme Pfeiffer a remis les courriels à plusieurs syndicats et l’affaire est sortie au grand jour en décembre 2013. L’industriel a déposé une plainte contre X pour « introduction frauduleuse dans un système de traitement automatisé de données ». L’enquête a permis de remonter à Mme Pfeiffer et à son « informateur », Christophe M. Tous deux ont été jugés et condamnés, en première instance puis en appel, à une amende avec sursis.
Les motivations de l’arrêt rendu, le 16 novembre 2016, par la cour d’appel de Chambéry sont particulièrement sévères à l’égard de Mme Pfeiffer. Cette dernière « a commis un manquement volontaire et inexcusable à ses obligations déontologiques », écrit la cour, qui ajoute : « En divulguant des informations dont elle n’ignorait pas l’origine frauduleuse, hors du cadre de sa mission et pour satisfaire des intérêts personnels [afin de] donner force et crédit à son ressenti envers son directeur, par une voie non contradictoire, elle a agi en opposition aux valeurs des fonctions d’inspecteur du travail. » D’où la condamnation pour violation du secret professionnel et recel de documents confidentiels.
Précision qui a son importance : Mme Pfeiffer avait saisi en 2013 le conseil national de l’inspection du travail (CNIT), dont le rôle est de veiller à ce que les missions des agents de contrôle soient exercées dans de bonnes conditions. Après une enquête très fouillée, cette instance était parvenue à des conclusions mesurées sur le rôle joué par M. Dumont : son intervention « n’avait pas pour objet et n’a pas eu pour effet de modifier les suites données par [Mme Pfeiffer] à son action de contrôle sur [Tefal] », avait estimé le CNIT. Mais, enchaînait-il, elle « a pu effectivement donner [à l’inspectrice du travail] le sentiment qu’il était porté atteinte à son indépendance et à sa libre décision ». Pour le CNIT, la discussion mouvementée d’avril 2013 entre M. Dumont et Mme Pfeiffer reflétait « clairement une mauvaise relation professionnelle (…) marquée par la défiance réciproque ».