Mark Zuckerberg lors d’une conférence au Mobile World Congress de Barcelone, en mars 2015. | ALBERT GEA / REUTERS

C’est un long texte de plusieurs pages, qui balaye des sujets aussi variés que la transition écologique ou le harcèlement en ligne : ce vendredi 16 février, Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook, a publié un manifeste très politique, intitulé « Construire une communauté globale ». Ce n’est pas la première fois que l’intéressé s’exprime longuement sur sa vision de l’avenir de Facebook, d’Internet ou des Etats-Unis : à plusieurs reprises, ces dernières années, le PDG du plus grand réseau social au monde a détaillé, dans des conférences ou sur sa page Facebook, sa vision du monde. Mais le texte publié ce jeudi détone.

D’abord, parce que cet essai, qui évoque, selon les mots de M. Zuckerberg, la manière dont Facebook peut construire des communautés « plus inclusives, plus sûres » ou « mieux informées », contient aussi un certain nombre de mea culpa. Sur la censure accidentelle de vidéos du mouvement Black Lives Matter (« les vies des Noirs comptent »), ou de la photographie iconique de la jeune fille victime des bombardements au napalm durant la guerre du Vietnam. Mais aussi sur la lutte contre les messages haineux, M. Zuckerberg reconnaît :

« Nous avons [commis des erreurs] en identifiant comme incitation à la haine des discours politiques (...) et supprimé des comptes et des messages qui auraient dû rester en ligne, et nous avons aussi laissé en ligne des contenus haineux qui auraient dû être supprimés. »

Fausses informations et « bulle de filtres »

Plus largement, affirme-t-il, « il est de notre responsabilité d’amplifier les effets positifs et de limiter les effets négatifs » des réseaux sociaux. Un discours qui tranche en partie avec la neutralité généralement revendiquée par Facebook et ses concurrents. Facebook, comme Google ou Twitter, se présentent volontiers comme des plates-formes neutres, régies par des règles génériques. Mais, depuis l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis, des voix se font entendre au sein même de ces entreprises pour qu’elles prennent davantage position, notamment dans la lutte contre la diffusion de fausses informations.

Sur ce point, justement, M. Zuckerberg dit vouloir adopter une approche différente :

« Deux des problèmes les plus débattus l’année dernière étaient la diversité des opinions auxquelles nous sommes confrontés (la "bulle de filtre") et la véracité des informations ("fake news"). Ces deux aspects m’inquiètent. »

Jusqu’à présent, Facebook considérait que la « bulle de filtre », le fait de n’être confronté qu’à des opinions avec lesquelles nous sommes déjà d’accord, était un phénomène marginal et peu important sur le réseau social. Mais pour M. Zuckerberg, le problème principal concerne « le sensationnalisme et la polarisation [de l’information] qui mènent à l’absence de compréhension ».

M. Zuckerberg, qui dit s’appuyer sur des études scientifiques, estime que ce problème peut être combattu, mais pas simplement en montrant aux utilisateurs des informations ou opinions avec lesquelles ils sont en désaccord – « en réalité, cela renforce la polarisation du débat, parce que les opinions différentes sont vues comme étrangères ». Il considère que l’approche la plus efficace sera de « présenter un large panel de perspectives, et de laisser les utilisateurs voir où se situent leurs opinions dans ce spectre, et les laisser parvenir à leur propre conclusion sur ce qui est juste ».

Développement d’intelligences artificielles

Sur ces questions, comme sur le harcèlement en ligne, le fondateur de Facebook compte sur les progrès de l’intelligence artificielle pour être plus efficace :

« Nous travaillons en ce moment sur des systèmes qui pourront analyser des photos et des vidéos pour déterminer automatiquement quels contenus nos équipes de modération devraient regarder. (…) Nous cherchons également à construire une intelligence artificielle qui sera capable de faire la différence entre un article de presse qui parle de terrorisme et un message de propagande terroriste. »

Ces outils, particulièrement complexes à concevoir, ne seront pas pour tout de suite, concède M. Zuckerberg.

Pour autant, il réaffirme à plusieurs reprises que Facebook ne se voit pas comme un censeur. « Voir du contenu désagréable est une aussi mauvaise expérience que de se voir dire que l’on n’a pas le droit de partager quelque chose qui nous tient à cœur », écrit-il. Pour résoudre ce puzzle, Facebook compte explorer des pistes qui rappellent celles testées par d’autres plates-formes, comme Twitter ou Reddit : le fait de masquer plutôt que de bloquer, et de personnaliser davantage l’expérience des utilisateurs en fonction de leurs convictions.

Alors que Facebook a toujours choisi d’appliquer les mêmes règles à l’ensemble de ses utilisateurs, où qu’ils soient dans le monde, avec de rares exceptions liées aux législations locales, M. Zuckerberg évoque ainsi une forme de règles « personnalisées » :

« L’idée est de donner à tout le monde, dans la communauté, des options sur les règles qu’ils voudraient voir appliquer pour eux-mêmes. Etes-vous choqué par la nudité ? La violence ? La vulgarité ? Ce que vous décidez sera appliqué à vos paramètres personnels. (…) Pour les utilisateurs qui n’auront pas configuré cette option, le choix par défaut sera celui fait par la majorité des personnes qui vivent dans votre région, un peu comme un référendum. »

Les contenus ne seront effacés que s’ils « sont plus choquants que ce que permet l’option la plus permissive ». Dans ce texte très politique, M. Zuckerberg rappelle également que Facebook a un rôle civique à jouer, notamment en incitant les citoyens à aller voter. « L’an dernier, nous avons aidé plus de deux millions de personnes à s’inscrire sur les listes électorales aux Etats-Unis. C’était le plus important effort d’inscription de l’histoire, et il dépassait ceux des deux principaux partis combinés », se félicite M. Zuckerberg, pour qui les réseaux sociaux sont aujourd’hui « le principal medium de communication civique », « tout comme la télévision l’était dans les années 1960 ».

Complétées par un discours critique, sans le nommer, à l’encontre du président Donald Trump et de sa politique isolationniste, ces déclarations ne devraient pas manquer de relancer les spéculations sur les éventuelles ambitions politiques de Mark Zuckerberg. Fin janvier, le PDG de Facebook avait démenti vouloir se présenter aux élections, mais il multiplie depuis le début de l’année les déplacements dans l’ensemble des Etats-Unis à la manière d’un candidat en campagne. Son long manifeste se termine d’ailleurs sur une citation sur le pouvoir de l’imagination et la nécessité pour le peuple américain d’agir de concert – empruntée à Abraham Lincoln.