Rapport sur la déradicalisation : « il n’y aura pas de miracle »
Rapport sur la déradicalisation : « il n’y aura pas de miracle »
Par Cécile Bouanchaud
La prise en charge de la déradicalisation en France est un « échec » et les pouvoirs publics doivent changer de « concept », selon un bilan d’étape d’une mission d’information sénatoriale rendu public mercredi.
Le centre de prévention, d’insertion et de citoyenneté, ouvert en septembre 2016, au lieu-dit de Pontourny, à Beaumont-en-Véron (Indre-et-Loire). | GUILLAUME SOUVANT / AFP
C’est un rapport qui intervient alors que le constat est désormais entendu : la prise en charge de la déradicalisation en France est un « échec » et les pouvoirs publics doivent changer de « concept ». La sénatrice écologiste Esther Benbassa et sa collègue Les Républicains (LR), Catherine Troendlé ont remis, mercredi 22 février, leur rapport d’étape de leur mission d’information baptisée « Désendoctrinement, désembrigadement et réinsertion des djihadistes en France et en Europe ». Le rapport final, dont les travaux ont débuté au printemps 2016, devrait être publié en juin.
Dans ce point d’étape, les deux rapporteures dressent un bilan global peu flatteur de la politique de déradicalisation et en particulier du centre dédié de Pontourny (Indre-et-Loire), où elles se sont rendues. « C’est un fiasco complet, tout est à repenser, tout est à reconstruire », a commenté le président de la commission des Lois du Sénat, Philippe Bas.
Un climat d’urgence
Pour comprendre les raisons de cet « échec », il faut remonter quelques années plus tôt, à l’automne 2014, période à laquelle l’exécutif a mis en place ses premières mesures pour endiguer le phénomène de radicalisation latent en France, et qui conduit déjà certains jeunes sur les terres de l’organisation Etat islamique (EI) en Syrie et en Irak.
Les mois suivants verront se succéder une série d’attentats (en janvier puis en novembre 2015) et de tentatives d’attentats, notamment l’attaque ratée du Thalys par Ayoub El Khazzani et celle de Villejuif par Sid Ahmed Ghlam.
C’est dans ce contexte de menace diffuse que le gouvernement s’attaque au dossier ardu de la « déradicalisation » – terme désormais décrié au profit du « désendoctrinement » ou du « désembrigadement ». Un contexte d’urgence, qui n’incite pas les autorités à prendre les bonnes décisions, selon Mme Benbassa.
« Le gouvernement était en panique à la suite des attentats. Et c’est la panique qui a guidé ses actions. Le temps du politique est court, il fallait rassurer la population », rappelle la sénatrice Europe Ecologie-Les Verts, qui se défend d’avoir réalisé un « réquisitoire » contre la politique de désendoctrinement mis en place par le gouvernement, mais qui revient point par point sur les différentes méthodes utilisées, soulignant à chaque fois leur limite.
« Business »
Mme Benbassa fustige d’abord les associations sollicitées par l’exécutif pour amorcer des programmes de déradicalisation partout en France. « Ces associations ne connaissaient pas la question, elles se sont juste engouffrées dans la brèche, en menant des actions qui n’étaient pas à la hauteur des défis », estime la sénatrice, qui évoque à plusieurs reprises « le business de la déradicalisation » où « ceux qui y croient sont ceux qui en vivent ».
A ces associations se sont ajoutés « des pseudos spécialistes », ajoute Mme Benbassa, refusant toutefois de donner des noms.
Mais dans l’univers de la déradicalisation, un nom est désormais connu de tous, celui de Dounia Bouzar, qui a d’ailleurs vu son patronyme détourné (« bouzarisme », « bouzarisation » et même « bouzarologie ») pour railler ses méthodes, reposant notamment sur l’évocation de souvenirs heureux de jeunesses pour ramener les individus endoctrinés dans le droit chemin. Une méthode qui ferait fi de la variable religieuse dans l’embrigadement des jeunes. « Leur comportement n’était pas seulement celui des adeptes d’une secte, mais aussi celui de jeunes sous l’emprise d’une vision radicale de l’islam », réagit la sénatrice écologiste.
Concernant le « business de la déradicalisation », Mme Bouzar est également visée : elle a touché jusqu’à 833 000 euros en différentes tranches pour toutes ses missions. Son bilan est pourtant contrasté, de nombreux ont confié que leurs enfants sont repartis en Syrie après avoir fait l’objet d’un suivi dans son centre. « On a laissé faire ses associations en leur faisant confiance », résume Mme Benbassa. Si Dounia Bouzar a cristallisé autour d’elle toutes les controverses, elle est loin d’être la seule à avoir été décriée par les pouvoirs publics.
A l’image des détraqueurs de Dounia Bouzar, les rapporteures du rapport réclament une « évaluation indépendante » des méthodes auxquelles ont recours les associations pour « désembrigader » leur public.
Le volontariat controversé
Le rapport d’étape des deux sénatrices jette aussi l’opprobre sur le centre de prévention, d’insertion et de citoyenneté, ouvert en septembre 2016, au lieu-dit de Pontourny, à Beaumont-en-Véron, un village de 2 700 habitants d’Indre-et-Loire. Ce premier centre de « déradicalisation » en France est désormais vide. Il a vu partir son dernier pensionnaire en milieu de semaine après que ce dernier a été condamné à quatre mois de prison avec sursis pour des faits de violences familiales.
Concernant ce centre, qui devait accueillir jusqu’à vingt-cinq personnes, et qui en a totalisé neuf au plus fort du dispositif, Mme Benbassa déplore le manque de coopération des préfectures, censé faire remonter les cas de jeunes candidats potentiels : 40 % d’entre elles n’ont pas répondu à la circulaire ministérielle.
Le rapport remet également en cause « la politique du volontariat ». « Comment croire que des gens déracinés, qui viennent dans ce lieu sur la base du volontariat, puissent changer ? », questionne la sénatrice, qui rappelle que le dispositif avait un coût annuel de 2,5 millions d’euros.
C’est aussi le regroupement des individus radicalisés qui pose question, aussi bien à Pontourny, que dans les prisons, où des détenus radicalisés avaient été réunis dans des unités dédiées, au sein de cinq établissements pénitentiaires situés en Ile-de-France et dans le Nord. L’agression d’un surveillant, le 4 septembre 2016, avait marqué un coup d’arrêt à ce dispositif. Là encore, les rapporteures évoquent un personnel qui n’était pas assez formé.
Des avancées
Le message semble d’ores et déjà avoir fait son chemin au sein des autorités publiques. Le ministre de la justice, Jean-Jacques Urvoas, a annoncé en octobre 2016 un changement de cap dans la prise en charge des détenus radicalisés, qui seront évalués dans six établissements durant quatre mois, avant d’être affectés dans vingt-sept prisons qui présenteront, des conditions de sécurité élevée et bénéficieront de renforts de personnels spécifiquement formés.
L’exécutif a donc tiré des enseignements de ces échecs passés. Mais pour Mme Benbassa qui lance pêle-mêle une série de mesures qui devront encore être mises en place : « accompagnement individualisé », « travaille sur la réinsertion », « développer la prévention ».
« Pour cela il faut s’entourer de tout un maillage, de travailleurs sociaux, d’éducateurs, de policiers de proximité, d’imams, de chefs d’entreprise », estime-t-elle, prévenant que dans cette mission de déradicalisation « il n’y aura pas de miracle » et qu’il faudra rester « modeste et patient ».