Hépatite C : nouvelle offensive contre le brevet d’un médicament onéreux
Hépatite C : nouvelle offensive contre le brevet d’un médicament onéreux
Par Paul Benkimoun
Médecins du monde et Médecins sans frontières attaquent le brevet du sofosbuvir, un traitement innovant contre l’hépatite C, mais dont le coût dépasse les 40 000 euros par patient en France.
Après avoir obtenu en octobre 2016 auprès de l’Office européen des brevets l’annulation partielle de la protection intellectuelle couvrant le sofosbuvir (commercialisé sous le nom de Sovaldi par le laboratoire américain Gilead), Médecins du monde (MDM) et d’autres ONG de 17 pays, comme Médecins sans frontières (MSF) ou Aides, contestent une nouvelle fois les bases scientifiques du brevet sur ce traitement contre l’hépatite C.
Elles ont déposé, lundi 27 mars, une opposition au brevet portant sur le composant de base qui permet de fabriquer le sofosbuvir. Une stratégie que ces organisations déploient pour rendre plus abordable le prix jugé exorbitant de ce médicament innovant.
En France, la cure de 12 semaines pour une hépatite C est facturée 41 680 euros à la Sécurité sociale alors que des versions génériques tout aussi efficaces existent au prix de 220 euros. « C’est donc un brevet bancal qui a permis au laboratoire d’exercer une pression phénoménale sur les Etats, qui ont accepté ces prix exorbitants conduisant à un rationnement des traitements ! », s’exclamait le Françoise Sivignon, présidente de MDM après l’annulation partielle du brevet en octobre 2016.
Spécialiste des politiques européennes pour la Campagne d’accès aux médicaments essentiels (CAME) de MSF, Aliénor Devalière souligne que « le brevet sur le sofosbuvir garantit une situation de monopole à Gilead et empêche l’accès à des traitements abordables, y compris par des médicaments génériques en Europe et ailleurs. Or, ce brevet peut – et doit – être attaqué : les connaissances scientifiques qui ont permis la mise au point du sofosbuvir ne sont pas nouvelles. »
Chacun s’accorde à reconnaître que le sofosbuvir, premier représentant de la classe nouvelle des antiviraux d’action directe, est rapidement devenu un élément clé de la plupart des combinaisons thérapeutiques pour traiter l’hépatite C. Il assure une guérison complète en 4 mois, avec l’intérêt d’une prise par voie orale et moins d’effets secondaires que les traitements faisant jusqu’ici référence.
« Le sofosbuvir est hors d’atteinte pour des millions de patients car il est trop cher et le traitement n’est pas disponible – ou il est rationné à cause de son prix – dans de nombreux pays d’intervention de MSF, comme la Russie ou des pays dits à revenu intermédiaire comme la Thaïlande ou le Brésil. Un bon médicament ne sert à rien si les patients qui en ont besoin ne peuvent y accéder », s’indigne Isaac Chikwanha, spécialiste de l’hépatite C à la CAME. Gilead a en effet défini un programme de prix différenciés afin de proposer son médicament à un tarif notablement diminué pour des pays à revenu faible ou intermédiaire, entre autres l’Egypte, pays particulièrement affecté. Mais l’industriel a décidé de son propre chef quels Etats bénéficieraient de cette baisse de prix et lesquels en seraient exclus.
« L’opposition déposée en 2015 était une première, explique Françoise Sivignon. La société civile en Europe n’avait en effet jamais contesté un brevet sur un médicament. Nous avons démontré que nous pouvions avec succès nous inviter dans le système des brevets pour en dénoncer les failles. »
Cette fois, l’angle d’attaque adopté par les ONG est de contester la brevetabilité du composant de base servant à fabriquer le sofosbuvir. « Il y a des règles du jeu dans la fixation du prix des médicaments et dans les brevets, définies par la loi et par les conventions internationales, dont la convention sur le brevet européen de 1973, affirme Olivier Maguet, responsable de la campagne Prix du médicament et systèmes de santé chez MDM. Nous demandons au minimum que ces règles soient respectées par les industriels pour le brevet et soient utilisées en totalité par les gouvernements, notamment en recourant à une licence d’office quand il y a un danger pour la santé publique. »
Ce dispositif, qui figure dans le droit français, permet de mettre sous licence accordée par l’Etat l’exploitation de brevets lorsque l’intérêt de la défense nationale, l’intérêt de l’économie nationale ou l’intérêt de la santé publique le justifient. MDM propose ainsi de « fournir des arguments de droit pouvant aider les gouvernements dans leur rapport de forces, aujourd’hui inégal avec les industriels pour réduire les prix des médicaments innovants ».
Pour MSF, attaquer le brevet ou s’y opposer c’est espérer qu’il soit ainsi révoqué ou que sa durée de validité soit raccourcie, permettant l’arrivée de médicaments génériques et une réduction drastique des prix. « Des brevets sur le sofosbuvir ont déjà été révoqués en Chine et en Ukraine, et d’autres jugements sont attendus en Argentine, en Inde, au Brésil, en Russie et en Thaïlande », précise MSF.