Afrique du Sud : le ton monte aux obsèques d’Ahmed Kathrada
Afrique du Sud : le ton monte aux obsèques d’Ahmed Kathrada
Par Jean-Philippe Rémy (Johannesburg, correspondant régional)
Lors de l’hommage national rendu au « frère » de Mandela décédé mardi, les divisions qui gangrènent l’ANC et le clan du président Zuma ont éclaté au grand jour.
Il a fallu que survienne, à l’âge de 87 ans, la mort de l’un des hommes les plus respectés d’Afrique du Sud pour que quelque chose crève, ou se libère, dans le domaine politique, avec des conséquences imprévisibles. Ahmed Kathrada, le vieux compagnon de Nelson Mandela, son « frère » de cœur et compagnon de captivité, était porté en terre, mercredi 29 mars, au matin. Un homme n’assistait pas à la cérémonie : le président Jacob Zuma. Ce dernier n’était pas le bienvenu. Le climat au sein du Congrès national africain (ANC), au pouvoir depuis 1994 en Afrique du Sud, est arrivé à un point de tension grave, en raison de luttes de factions qui se sont jouées en arrière-plan des mois durant, mais commencent à apparaître en public.
L’enterrement d’Ahmed Kathrada, transformé avec l’âge en icône du passé glorieux des dirigeants de l’ANC, a cristallisé ces oppositions. Il y avait, donc, autour de la tombe de l’ex-prisonnier une partie du gouvernement, ceux qui s’opposent désormais au chef de l’Etat. Et parmi eux la parole se libère.
« Un jour comme celui-ci, nous ne devons pas mâcher nos mots », a commencé l’ex-président Kgalema Mothlante, en présence des invités parmi lesquels se trouve le vice-président, Cyril Ramaphosa. L’hommage au « camarade Kathy » (appelé aussi « oncle Kathy ») est des plus vibrant, une ode à tout ce que l’ANC porte en lui de meilleur : rappel de faits historiques, vision universelle, etc. Et de rappeler le dernier acte politique d’Ahmed Kathrada, une lettre ouverte adressée au président Zuma en mars 2016, dont le but était de l’appeler à démissionner. Le contexte en étant le scandale de trop, sanctionné par un jugement de la Cour constitutionnelle. Cette lettre, dans sa forme, était importante, mais elle émanait d’un homme qui n’était riche que de sa réputation, et ne pesait pas dans les rapports de forces du pouvoir.
« Manquer de respect »
Mercredi, devant sa tombe, sa parole a été en quelque sorte élevée au rang de manifeste par ceux qui assistaient à son enterrement, dont Cyril Ramaphosa, candidat à la succession de Jacob Zuma. Ce dernier, au moment de l’enterrement de Nelson Mandela, en 2013, avait du subir un affront sérieux : dans le stade de Soweto où était organisée la grande cérémonie internationale des funérailles de « Madiba » (surnom de Mandela), en présence de nombreux chefs d’Etat et de gouvernements présents – Barack Obama y avait reçu une ovation délirante –, le président sud-africain avait été hué, sifflé, par une partie de l’assistance. Au moins, cette fois-ci, s’est-il gardé de renouveler l’expérience avec le vieux « frère » de Madiba, Ahmed Kathrada. Cela ne suffira pas à étouffer le vent de discorde qui règne au sein de l’ANC.
Une manœuvre était en cours au moment du décès surprise d’Ahmed Kathrada. Un remaniement ministériel devrait avoir lieu, dont l’objet est de remplacer l’actuel ministre des finances, Pravin Gordan, hostile à certaines manigances des proches du président Zuma, et considéré par ses soutiens au sein de l’ANC comme le « garant du Trésor » (évitant son pillage), ainsi que les ministres opposés au groupe des pro-Zuma. Le remaniement semble avoir été repoussé, en attendant la fin des obsèques.
Le même jour, l’un des soutiens du président Zuma, le président de la province du Nord-Ouest, Supra Mahumpelo, a délivré un discours enflammé devant ses propres partisans, parlant avec mépris de « ceux qui font du bruit dans le pays » : « Ce sont de mauvaises personnes, nous le disons, quel que soit leur passé en politique, qu’ils aient été en exil, ou qu’ils aient été à Robben Island [l’île-bagne où a été détenu Nelson Mandela et Ahmed Kathrada], ce n’est pas notre problème. Ils ne doivent pas vous manquer de respect. » Et de terminer cette allocution en la présence de Jacob Zuma : « Personne, Monsieur le Président, ne va vous pousser à quitter le pouvoir, parce que vous avez été élu par cette multitude de gens. (…) Nous allons protéger notre Président ! »