Les Guyanais dénoncent les défaillances de l’Etat sur l’insécurité
Les Guyanais dénoncent les défaillances de l’Etat sur l’insécurité
Par Laurent Marot (Cayenne - correspondant)
Les renforts de la police, de la gendarmerie et de la justice sont au cœur des revendications des grévistes qui bloquent le territoire.
Environ 10 000 personnes ont manifesté à Cayenne, mardi 28 mars. | JODY AMIET / AFP
Alors que les ministres de l’intérieur et des outre-mer, Matthias Fekl et Ericka Bareigts, sont arrivés en Guyane, mercredi 29 mars, pour tenter de désamorcer la crise qui bloque le territoire, le maintien de l’ordre et la sécurité vont être au cœur des négociations. Mardi 28 mars, plus de 10 000 personnes ont marché contre l’insécurité à Cayenne, et 4 000 à Saint-Laurent-du-Maroni, du jamais-vu en Guyane.
Le 8 novembre 2016, dans la soirée, Patrice Clet ouvre la porte de son domicile à Rémire-Montjoly après avoir entendu du bruit dehors : l’ancien conseiller général et militant associatif est abattu à bout portant par un cambrioleur. En août, Maurice Chen Ten You, ex-conseiller régional, était tué par arme à feu chez lui, à Cayenne, par un voleur. En 2016, il y a eu 42 homicides en Guyane, le territoire français le plus meurtrier rapporté au nombre d’habitants. « Le matin, quand on se réveille, on ne sait pas à quoi s’attendre… On écoute la radio, et on apprend un nouveau drame. L’année dernière, ça n’a pas arrêté », témoigne Elodie, une fonctionnaire territoriale venue sur l’un des barrages qui bloquent les axes routiers de la collectivité.
Entre 2014 et 2016, le nombre annuel de vols avec violence est passé de 1 694 à 2 338. Commune la plus touchée par l’insécurité, Cayenne a enregistré en 2016 une moyenne de 140 faits de délinquance pour 1 000 habitants. Alors que la courbe de l’insécurité augmentait dans la ville, la compagnie départementale d’intervention du commissariat, une unité équipée pour le maintien de l’ordre et les interventions, voyait ses effectifs diminuer de 66 à 45 policiers en deux ans.
« A la brigade anticriminalité, les effectifs théoriques sont de 28, mais aujourd’hui, entre les changements de service, les formations et les départs non remplacés, ils sont 16 seulement », déplore Mathieu Petitjean, secrétaire départemental adjoint d’Alliance Police. « A Fort-de-France et Pointe-à-Pitre, la police a des groupes d’appui de nuit – deux fois douze agents – qui se relaient, mais pas à Cayenne : nous le demandons pourtant depuis de longues années », regrette le syndicaliste.
Forte pression migratoire
Lors de sa visite en octobre 2016, Bernard Cazeneuve, alors ministre de l’intérieur, avait promis 60 policiers de plus en Guyane dont la moitié en adjoints de sécurité, dont la capacité d’action est limitée. Le commissariat a bénéficié seulement d’une quinzaine de postes en création nette. Alliance réclame aujourd’hui « 70 postes supplémentaires au commissariat de Cayenne et 35 pour la police aux frontières ».
Le syndicat dénonce également des voitures en mauvais état, des radios dépassées, la vétusté et l’exiguïté de l’hôtel de police. Un nouveau commissariat avait été pourtant promis en 2006 par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, qui en avait fait « une priorité absolue ». Onze ans plus tard, toujours rien, même si le projet a été relancé et budgété pour près de 30 millions d’euros, avec un coup d’envoi des travaux promis en 2018. Des collectifs citoyens qui mènent la fronde réclament également la création de commissariats à Kourou et à Saint-Laurent-du-Maroni, aujourd’hui en zone gendarmerie.
4 000 reconduites à la frontière
Dans un territoire soumis à une forte pression migratoire – plus de 4 000 reconduites en 2016 –, la police aux frontières ne dispose par de brigades fluviales sur les fleuves frontières, le Maroni et l’Oyapock, axes de pénétration pour l’immigration clandestine et l’orpaillage illégal. Les navires des douanes et de la gendarmerie sont basés à Kourou, loin des frontières maritimes. Deux radars maritimes ont été promis en 2014 pour repérer les pêcheurs clandestins brésiliens et surinamais qui pillent depuis plus de vingt ans les eaux guyanaises, mais ces équipements ne sont toujours pas actés.
Les acteurs de la sécurité dénoncent aussi les difficultés de la justice en Guyane, des délais de jugement trop longs à la « correctionnalisation » de dossiers criminels, renvoyés devant le tribunal correctionnel pour cause d’engorgement de la cour d’assises. Une cour d’appel a été créée en 2010, affranchissant la justice guyanaise de la tutelle de la Martinique, mais les murs n’ont pas suivi : les locaux du tribunal de grande instance de Cayenne sont obsolètes et exigus. En 2001, le ministère de la justice prévoyait pourtant l’édification d’un nouveau palais de justice à Cayenne. Le projet est tombé depuis aux oubliettes.
Explosion des interpellations de « mules »
Les avocats de Guyane revendiquent à nouveau « la création d’une cité judiciaire en Guyane », devenue une priorité dans la plate-forme de revendications des grévistes. Lundi 27 mars, le premier ministre a fait un premier pas, en annonçant la création d’un tribunal de grande instance et d’une prison à Saint-Laurent-du-Maroni, commune en pleine expansion à 250 kilomètres de Cayenne.
Par ailleurs, en matière de stupéfiants, une antenne de l’Office central pour la répression du trafic illicite a été créée en janvier avec neuf policiers, pour faire face à l’explosion des interpellations de « mules », les passeurs de cocaïne importée du Surinam qui s’envolent à destination de Paris : 183 interpellations en 2014, 371 en 2016.
La mission interministérielle arrivée samedi en Guyane a également rappelé la mise en place cette année d’une zone de sécurité prioritaire à Saint-Laurent, confirmé l’affectation de 90 gendarmes sur trois ans en Guyane, et le maintien jusqu’à septembre de l’escadron de gendarmes mobiles envoyé en renfort après le décès de Patrice Clet.
Comprendre la situation en Guyane en trois minutes
Durée : 02:59