Le producteur Kiddy Smile. | SYLVAIN LEWIS

Kiddy Smile sort du studio d’enregistrement parisien Red Bull, le sourire aux lèvres et une clé USB à la main. « Je posais ma voix sur un morceau », confie le géant de presque deux mètres. A 30 ans, après avoir mené une vie de slasheur (danseur, styliste, choriste, DJ, organisateur de soirées), Pierre-Edouard H. souhaite se concentrer davantage sur la musique électronique, grâce à laquelle il s’est imposé comme l’une des figures emblématiques des nuits parisiennes.

En août 2016, il publie le EP (mini-album) Enough of You, dont l’esthétique s’inspire de la house des origines, née au sein de la communauté noire et gay du Chicago des années 1980, ainsi qu’à son excroissance acide. Un soir, son titre phare, Let a Bitch Know passe lors d’une soirée où se trouve le directeur artistique de Defected – un des labels de house les plus reconnus. Celui-ci décide de signer Kiddy Smile. A la mi-décembre 2016, un premier EP de remixes naît de cette collaboration, et deux autres sont prévus pour cette année. Mais un plus gros défi attend Kiddy Smile : composer son premier album, dont il a déjà terminé quatre morceaux. Il devrait sortir « à la fin de l’année, si tout se passe bien », dit-il.

Dans un clip de George Michael

Cette voie n’était pas toute tracée, le jeune Kiddy ayant d’abord flirté avec le mainstream, à côté d’études en info-com’ qu’il a poussées jusqu’au master. Aîné de sa famille, Pierre-Édouard H. est élevé par une mère d’origine camerounaise et divorcée, dans la cité de Groussay (Yvelines). « On y a parqué des gens pauvres ou issus de l’immigration. Mais ce n’est pas un quartier chaud », précise t-il. Adolescent, il suit des cours de danse hip-hop avec une association du coin, puis décide de participer à quelques compétitions à Paris. Candidat à un casting pour tourner dans un clip de George Michael, An Easier Affair, il est sélectionné parmi d’autres danseurs : « On a tourné à Londres pendant deux jours, puis on a accompagné George Michael sur scène deux fois. Il était très généreux, il nous a offert des cadeaux et j’ai eu un trench Burberry. J’étais triste d’apprendre sa mort [le 25 décembre 2016]. C’était une étape marquante dans ma carrière d’artiste avec mon premier contrat. J’ai ensuite dansé pour Yelle, Magic System, Tété et même Jenifer. »

Puis il se diversifie, chante dans un chœur pour accompagner Uffie, rattachée au label électro Ed Banger, aide quelques célébrités à choisir leurs tenues. On lui propose de faire de la figuration derrière des sets préenregistrés, mais il s’en lasse rapidement, décide d’apprendre à manier les platines, et en profite pour se familiariser avec quelques logiciels de production.

Kiddy Smile a donc déjà un pied dans le monde de la musique lorsqu’il rencontre Beth Ditto, la chanteuse du groupe de rock américain Gossip. Elle l’invite à monter sur scène au festival de Coachella, en Californie, pour chanter un titre de Grace Jones, et lui propose ensuite de jouer en première partie de ses concerts. Le producteur en devenir continue aussi à mixer et organise les soirées « Strangé », mêlant pop et R’n’B, au Maxim’s. Directeur artistique de Balmain, Olivier Rousteing est séduit par ses DJ sets et lui propose de collaborer avec la marque de luxe. « Je m’occupe de l’habillage sonore des défilés des collections homme, explique Kiddy Smile. Au début, je remixais les morceaux qu’Olivier choisissait. Maintenant je fais un mix qui est ensuite retranscrit pour un orchestre d’une trentaine de personnes, qui jouent en live pendant le défilé ». D’autres enseignes font aussi appel à ses services, comme Balenciaga, Jean-Paul Gaultier, ou encore Alexander Wang – dont il conçoit les playlists des boutiques new-yorkaises.

Seconde famille

En parallèle, Kiddy Smile s’implique au sein de la « ballroom scene » parisienne, créée par Lasseindra Ninja et Stéphane Mizrahi il y a une dizaine d’années. Lors des « balls », les membres de cette communauté participent à des compétitions de voguing, une danse inspirée par les poses des mannequins du magazine Vogue, qui s’est développée parmi la population transsexuelle noire de New York dans les 1960, avant de prendre de l’ampleur à la fin des années 1980. Chaque groupe de vogueurs se regroupe dans une « house », qui fait office de seconde famille. S’il a délaissé la danse, Kiddy Smile représente tout de même sa « house » aux « runways », l’une des nombreuses catégories des « balls », qui consiste à défiler avec panache, comme sur un podium. Il n’est pas non plus rare de l’apercevoir derrière les platines.

Kiddy Smile 'Let A B!tch Know'
Durée : 05:38

Kiddy Smile profite de ses clips pour faire connaître cette culture et ses protagonistes. Quitte à risquer quelques accrochages. Pour le tournage de Let a Bitch Know, dans la cité des Alouettes d’Alfortville, il est pris de court par la mairie, qui avait donné son accord pour envoyer quelques agents de sécurité, et se rétracte le jour même. « Les gens se sont passés le mot, racontant qu’il y avait des gays dans le quartier qui tournaient une vidéo, se souvient t-il. On s’est fait jeté des trucs dessus, on s’est fait insulter, des gens bloquaient les voitures pour nous empêcher de sortir. » Les plans s’enchaînent tout de même et le clip, à l’esthétique léchée, est diffusé sur Youtube. Quelques personnes reconnaissent la cité des Alouettes et moquent le quartier, ce qui provoque la colère d’habitants. Kiddy Smile reçoit des menaces de mort, ce qu’il précise d’un air détaché. Un soir, il évite de peu une confrontation de peu : « Je mixais au Wanderlust et des gens me cherchaient. La sécurité les a empêchés de rentrer ». Il en faudrait plus pour l’effrayer. Il compte néanmoins arrêter de participer aux « balls » : trop chronophages.

Maxime Retailleau