La guerre des comptables et des robots aura-t-elle lieu ?
La guerre des comptables et des robots aura-t-elle lieu ?
Par Adrien de Tricornot
La profession est décrite comme l’une des plus menacées par l’automatisation. Un fait qui conduit les cabinets d’expertise-comptable à se recentrer sur le conseil et la relation client.
Pepper, le robot humanoïde développé par SoftBank, au salon SiDo de Lyon, le 6 avril. | ROBERT PRATTA / REUTERS
Les comptables et expert-comptables sont-ils menacés, à terme, par la robotisation ? Si l’on en croit une étude de l’université d’Oxford de 2015, qui avait inspiré à la BBC un populaire outil permettant d’évaluer ce risque, la probabilité est de 95 % pour les experts-comptables (chartered and certified accountants), tandis que celui de comptable en entreprise faisait partie des dix métiers les plus à risques (avec une probabilité d’au moins 97 %), tout comme d’autres métiers connexes dans la paie, la gestion des ventes, la finance… Et l’hypothèse n’est plus virtuelle : EDF expérimente trois robots comptables, avec l’objectif de leur confier, à compter de 2018, des activités répétitives et chronophages.
L’Ordre des experts-comptables refuse tout alarmisme : « On a transposé un peu vite à la situation française les conclusions d’études anglo-saxonnes, comme si tous les comptables et auditeurs étaient concernés », estime Dominique Jourde, président de la commission numérique de l’organisation. Seule une partie des activités peut être automatisée, à savoir les opérations de saisie comptable. Un mouvement d’ores et déjà commencé. « Les outils existent désormais, et les entreprises ne veulent plus payer le même tarif pour ces opérations », précise-t-il.
Les entreprises et le virage numérique
Autre bémol : « Les robots ne peuvent pas assurer 100 % du traitement des documents, car ils n’arrivent pas tous à les reconnaître. On a toujours besoin d’opérateurs, à la fois pour mettre en œuvre et contrôler la qualité des robots, mais aussi pour les compléter, tant que toutes les factures ne seront pas numérisées ou lisibles facilement. »
Les entreprises les plus en pointe ont pris depuis plusieurs années le virage vers le numérique, grâce à des logiciels liés à des plates-formes de gestion en ligne (technologies Software as a service), principalement proposés par de grands cabinets. « Ces solutions permettent aux entreprises de tenir elles-mêmes une comptabilité directement mise à jour, accessible sur tous les canaux, comme une tablette par exemple. Ce sont désormais les entreprises clientes qui saisissent leurs pièces comptables, et non plus notre cabinet, et elles peuvent même automatiser cette tâche si elles disposent d’un outil de facturation et de vente intégré à leur comptabilité », explique Pierre d’Agrain, associé du cabinet ExCo A2A, à Toulouse, membre du sixième réseau d’expertise-comptable en France.
Dans ce schéma, les cabinets sont dans une nouvelle relation avec leurs clients. Ils ne facturent plus des heures de saisie des pièces comptables par leurs salariés, mais un abonnement à la plate-forme. Leurs salariés se recentrent donc sur la gestion des informations, leur analyse, ou la relation avec les clients, des tâches à plus forte valeur ajoutée et plus intéressantes : « Rien ne remplacera le fait d’écouter les clients et de les conseiller », fait valoir M. d’Agrain. Pour lui, les robots, s’ils prendront leur part, en allégeant les tâches les plus répétitives et en fluidifiant la tenue des comptes, ne remplaceront pas les experts-comptables.
Les moins qualifiés impactés
L’impact sur l’emploi est néanmoins réel : il concerne surtout les profils les moins qualifiés, de niveau bac ou inférieur, chargés de la saisie des pièces comptables. Mais aussi les métiers d’experts : détachés désormais d’une partie de leurs tâches, ils peuvent servir un portefeuille de clients plus large. « On a besoin de moins d’effectifs, on peut faire de la croissance sans recruter », témoigne Pierre d’Agrain.
Le mouvement n’est est qu’à ses débuts. D’abord parce que les solutions numériques de saisie vont gagner du terrain auprès des PME. Mais aussi parce que de nouvelles évolutions se préparent : le développement de la blockchain, chaîne de paiement sécurisée sur Internet qui est utilisée pour le bitcoin, la monnaie numérique, laisse augurer que chaque transaction effectuée soit simultanément inscrite dans les comptabilités des parties prenantes.
A la faveur de la robotisation et du développement de l’intelligence artificielle, la profession a en ligne de mire le fast closing (la clôture rapide des comptes) : alors qu’actuellement, les grandes entreprises mettent plusieurs mois à publier leurs comptes certifiés de l’année précédente, ces délais devraient considérablement se raccourcir.
Si les innovations à l’œuvre bouleversent les métiers, elles devraient permettre, selon l’Ordre des experts-comptables, d’empêcher l’irruption de nouveaux acteurs désireux de concurrencer les cabinets traditionnels ou d’imposer leurs outils. « Nous sommes menacés par l’automatisation, mais pas par l’ubérisation », assure Pierre Jourde, pour qui les tentatives d’intermédiaires Web de se glisser, sur le modèle d’Uber, entre les cabinets comptables et leurs clients restent aujourd’hui « très marginales ».