Aux Etats-Unis, le débat sur l’accord de Paris met en évidence la fracture sur le climat
Aux Etats-Unis, le débat sur l’accord de Paris met en évidence la fracture sur le climat
Par Gilles Paris (Washington, correspondant)
Le président américain, Donald Trump, doit annoncer, jeudi soir, la décision de son administration sur le maintien ou non des Etats-Unis dans l’accord de Paris.
Pendant la campagne présidentielle, Donald Trump n’avait cessé de critiquer la politique environnementale de Barack Obama, présentée comme destructrice d’emplois. Son élection inattendue à la présidence des Etats-Unis, le 8 novembre, a entraîné presque immédiatement la mobilisation des organisations de défense de l’environnement. La question du maintien américain dans l’accord de Paris conclu en décembre 2015 a ouvert un débat et mis en évidence la fracture qui sépare deux camps irréconciliables.
Le 16 novembre, une semaine après l’élection de Donald Trump, 365 entreprises américaines, dont les mastodontes Mars, Nike, Levi Strauss et Starbucks adressent un appel pressant au président élu. Ne pas respecter les objectifs de réduction des gaz à effet de serre de l’accord de Paris, assurent-elles, serait « un risque pour la prospérité américaine », alors qu’au contraire une bonne décision « renforcera la compétitivité ». L’appel est accompagné d’une promesse : quel que soit le choix de M. Trump, ces entreprises s’engagent à respecter pour elles-mêmes leurs propres objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre.
La mobilisation de ces entreprises n’a pas faibli pendant les sept mois qui ont suivi. Mardi 30 mai, le responsable du géant informatique Apple, Tim Cook, a joint M. Trump pour l’inviter à respecter l’accord. Le lendemain, Elon Musk, le patron de Tesla et de SpaceX, a assuré qu’il cessera de participer à un conseil consultatif mis sur pied par la nouvelle administration en cas de départ des Etats-Unis de l’accord de Paris. En contrepoint d’une campagne de publicité télévisée, vingt-cinq poids lourds de l’économie américaine ont fait paraître jeudi un ultime appel au président dans les colonnes du New York Times et du Washington Post.
Les pro-environnement et ces entreprises ont pu compter très tôt sur des alliés au sein de la nouvelle administration. Sans jamais s’exprimer publiquement sur le sujet, la fille aînée de M. Trump, Ivanka, n’a pas caché sa préférence pour un maintien. A la Maison Blanche, le principal conseiller économique de M. Trump, Gary Cohn, campe sur la même ligne et n’a pas hésité à dire publiquement le peu de perspectives économiques qu’il prête au charbon, le 25 mai, alors que le président ne cesse de mettre en avant cette énergie fossile fragilisée par le développement durable du gaz et du pétrole de schiste.
Ancien responsable du géant pétrolier Exxon Mobile, le secrétaire d’Etat Rex Tillerson a expliqué lors de son audition préalable à sa confirmation par le Sénat, en janvier, que rester dans l’accord de Paris serait préférable pour les Etats-Unis. Le secrétaire à l’énergie Rick Perry, pourtant ancien gouverneur du Texas, le principal Etat pétrolier des Etats-Unis, campe sur la même ligne en assurant que le maintien permet aux Etats-Unis de disposer d’un droit de regard sur les autres pays, voire d’exiger de leur part des efforts accrus.
Une atteinte à la crédibilité américaine
D’anciens responsables américains de différentes administrations, républicaines comme démocrates, mettent également en garde contre l’atteinte à la crédibilité américaine et l’épreuve qu’elle représenterait pour des alliances anciennes qu’une sortie de l’accord de Paris représenterait. En la matière, les conséquences seraient, selon eux, plus dommageables que la sortie du protocole de Kyoto conclu en 1997 et décidée en 2001 par George W. Bush. C’est notamment le cas de l’ancien diplomate R. Nicholas Burns, qui évoque le risque d’une « erreur historique », ou de Richard Haass, responsable du Council on Foreign Relations.
Ces voix ont trouvé un écho au Congrès. Le 24 avril, quarante sénateurs démocrates (sur quarante-huit) ont signé une lettre adressée à M. Trump lui enjoignant de rester au sein de cet accord. Une dizaine d’élus républicains de la Chambre des représentants en ont fait de même trois jours plus tard. Trois sénateurs républicains, Susan Collins (Maine), Lindsey Graham (Caroline du Sud) et surtout le président de la commission des affaires étrangères, Bob Corker (Tennessee), ont plaidé également en ce sens en mai.
Front climatosceptique
Cette mobilisation s’est heurtée au front constitué de milieux économiques favorables à l’exploitation des énergies fossiles et de climatosceptiques. Les premiers sont notamment représentés par la National Mining Association, qui a évolué de la neutralité vers l’engagement contre Paris au nom des intérêts de l’industrie charbonnière américaine.
Les seconds sont représentés par une myriade d’associations et de groupes de pression d’inspiration libertarienne ou conservatrice, parmi lesquels on compte notamment The Competitive Enterprise Institute, The Heartland Institute et The Heritage Foundation. Ces groupes sont mobilisés à la fois par des convictions climatosceptiques et par la hantise de toute forme de réglementation qui permet, selon eux, à l’Etat fédéral d’accroître son pouvoir. Ils ont publié le 7 mai une lettre demandant au président de respecter sa promesse de campagne. Très idéologiques, ces groupes sont soutenus par des milliardaires très impliqués dans le débat politique, comme les frères Charles et David Koch, ainsi que par Robert Mercer et sa fille Rebekah.
Au sein de la Maison Blanche, le conseiller stratégique du président, Stephen Bannon, très proche des Mercer, compte parmi les adversaires les plus déterminés de l’accord de Paris, vu comme une atteinte à la souveraineté des Etats-Unis. M. Bannon a trouvé un relais efficace en la personne du nouveau directeur de l’Agence de protection de l’environnement, Scott Pruitt, ancien attorney general d’un Etat pétrolier, l’Oklahoma. Ce dernier est réputé pour sa proximité avec l’industrie pétrolière et les doutes qu’il exprime sur la réalité de la responsabilité humaine dans le réchauffement climatique.
Revenir sur les mesures pour le climat d’Obama
Selon M. Pruitt, rester dans l’accord de Paris risque d’empêcher l’administration de revenir sur le legs climatique de M. Obama aux Etats-Unis. De nombreuses figures climatosceptiques campent sur cette ligne et ont d’ailleurs été associées auparavant à l’équipe de transition de M. Trump, comme Myron Ebell et Thomas Pyle. Ce dernier soutient publiquement que l’électricité produite par les énergies renouvelables est principalement le produit de subventions coûteuses pour le contribuable américain.
Au Congrès, l’ancien président de la commission sénatoriale de l’environnement, James Inhofe, a longtemps défendu les thèses climatosceptiques. Il a été remplacé à ce poste par John Barrasso, élu du Wyoming, l’un des principaux Etats charbonniers américains. Alors que le Parti républicain est ouvertement critique de l’accord de Paris, une dizaine d’élus de la Chambre ont invité le 18 avril M. Trump à quitter un mécanisme qui vise selon eux le charbon. A l’initiative de M. Inhofe, une vingtaine de sénateurs du Grand Old Party en ont fait de même cette fois au nom de la lutte contre la régulation, le 25 mai.
Un sondage effectué en mars par l’université Harvard a montré qu’une très large majorité (62 % contre 31 %) de personnes interrogées est favorable au maintien des Etats-Unis. Les démocrates y sont les plus attachés (87 %) devant les indépendants (61 %). Les républicains sont majoritairement favorables à un départ tout en étant divisés (56 % pour, contre 39 % qui y sont opposés). Les Américains les plus âgés et les moins diplômés sont aussi les plus favorables à une rupture.