L’E3, cette étrange machine à faire rêver les fans de jeux vidéo
L’E3, cette étrange machine à faire rêver les fans de jeux vidéo
Par William Audureau
Joueurs et éditeurs entretiennent un rapport ambivalent avec le plus grand rendez-vous des professionnels du secteur. Le Salon a lieu cette année du 13 au 15 juin à Los Angeles, mais est précédé de conférences samedi.
Bon E3 ? Mauvais E3 ? Des millions d’yeux clignent derrière leur écran, prêts à s’engager au péril de leur sommeil dans le marathon annuel de l’Electronic Entertainment Exposition (E3) à Los Angeles (Californie). Le Salon mondial du jeu vidéo se tient officiellement de mardi 13 à jeudi 15 juin, mais il est précédé d’une ronde de conférences qui débute dès samedi 10 à 23 heures, pour se prolonger huit jours plus tard au rythme des articles en retard.
Une semaine entière à vivre au rythme de l’industrie du jeu vidéo, de ses spectaculaires conférences retransmises en direct, de ses bandes-annonces alléchantes, de ses analyses enflammées, de ses interviews commentées, que les observateurs les plus acharnés – ils sont nombreux – disséqueront avec rigueur, passion, ou les deux. Plus encore que pour les précédentes éditions, la cuvée 2017 de l’E3 – la 21e – est entourée d’un mélange d’impatience juvénile et de distance raisonnée.
PS4 console revealed (E3 2013 Playstation 4 Sony Press Conference) HD
Impatience juvénile, car le grand raout annuel du jeu vidéo est la colonne vertébrale de l’industrie, celle qui annonce traditionnellement les douze mois de sorties à venir, et les tendances du moment, comme la réalité virtuelle l’an passé, ou, probablement, l’e-sport cette année, à moins qu’un autre concept prometteur ne s’impose à son tour. Mais l’Electronic Entertainment Exposition n’est pas qu’un catalogue des futures sorties. C’est aussi, et surtout, un vivier inépuisable de conversations, de jugements savants, de mèmes et de mémoire collective.
Des souvenirs marquants
C’est la raison pour laquelle l’E3 est un rendez-vous, et les meilleures séquences des éditions passées, d’authentiques souvenirs ancrés et structurants, comme les hourras de la foule lors de l’annonce de The Legend of Zelda : Twilight Princess, en 2004, ou les cris hystériques à la diffusion d’une première bande-annonce pour le remake d’un jeu de rôle charnière, Final Fantasy VII, en 2016.
Final Fantasy 7 Remake reaction In Sony Presser
L’E3, ce sont aussi des citations passées à la postérité. Ainsi des simagrées décalées du président de Nintendo of America, Reginald Fils-Aimé, dont les « punchlines » (« Je suis ici pour prendre des noms et botter des fesses » ; « Mon corps est prêt » ; « Je me sens comme un Pikmin mauve ») alimentent aujourd’hui les sites de compilations de verbatim.
Reginald Fils-Aimé, dit « Reggie », est devenu la coqueluche des joueurs Nintendo pour ses expressions hautes en couleur à chaque E3. | Internet
Le célèbre Salon du jeu vidéo a également été le théâtre de moments plus tragiques, mais qui font partie de son héritage. Comme la fusillade dans une boîte de nuit d’Orlando le 12 juin 2016, la veille de son ouverture. Les hommages furent nombreux, poignants, et marquèrent une importante remise en question de la place des fusillades dans les jeux vidéo.
Et puis, il y a les souvenirs amers, comme la vidéo de 2015 mettant en scène les habituels porte-parole de Nintendo sous la forme inhabituelle de marionnettes. Personne n’avait fait le lien, alors, avec l’état de santé de son emblématique président Satoru Iwata, atteint d’un cancer en phase terminale, et qui allait mourir un mois plus tard.
All of the excellent puppet bits from Nintendo Direct (E3 2015)
Des attentes disproportionnées
A mesure que le Salon s’est ouvert au grand public, grâce à la diffusion en direct des conférences sur les plates-formes de vidéo et leur relais abondant des réseaux sociaux, s’est sédimenté autour de lui un peu de l’identité, du patrimoine et des valeurs du monde du jeu vidéo. Du strass, longtemps ; du spectacle, presque toujours ; de l’humour, si possible ; de l’envie d’avoir envie, beaucoup ; de l’émotion, volontiers ; et de la complicité dans l’humour potache, avouons-le.
C’est précisément à mesure de son importance grandissante que l’E3 a appris à décevoir. Pas d’une déception qui serait la marque d’un déclin, qu’on lui promet depuis des années, non. Plutôt une déception inhérente à son concept même. Parce que le Salon du jeu vidéo est une machine à faire rêver, il est aussi une machine à décevoir.
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Ainsi de ses conférences au rythme parfois mou – comme cela a longtemps été le cas de Sony. Ou qui peinent désespérément à surprendre autrement qu’en annonçant des jeux prévisibles – comme Microsoft et ses sempiternelles franchises Halo, Gears of War et Fable. Ou qui se trompent tout simplement de public, comme ces présentations insistantes, à la fin des années 2000, de jeux et périphériques adressés à M. et Mme Tout-le-Monde, alors même que l’audience de l’E3 est constituée de passionnés qui se bercent du fantasme d’un entre-soi. Des moments d’ennui, de déception ou, tout simplement, de gêne.
Une communication hors salon
Et puis, il y a eu une déception un peu nouvelle. Elle est le fait d’une évolution à double tranchant. Voyant qu’Internet en général, YouTube et Twitch en particulier leur offrent désormais un canal de communication privilégié dont ils maîtrisent le rythme, nombre d’éditeurs ont peu à peu pris la liberté de s’émanciper du carcan du Salon.
Ainsi de Nintendo, qui a commencé à jouer une autre partition, communiquant de plus en plus régulièrement par des vidéos dites « Nintendo Direct », renonçant aux sacro-saintes conférences, ou tenant celle du lancement de la Switch à Tokyo, en janvier. Idem de Microsoft, qui tout en maintenant sa présence, avait annoncé et dévoilé la Xbox One plusieurs semaines à l’avance, lors d’un événement spécifique. Une communication inspirée des keynotes d’Apple et à l’efficacité indéniable : en sortant du brouhaha de l’E3, ces acteurs s’assurent une couverture médiatique quasi exclusive.
C’est aussi la stratégie de tant d’éditeurs abattant leurs cartes de plus en plus tôt dans la saison, à l’image des dizaines de jeux dont l’annonce a été officialisée dès le mois de mai, comme Far Cry 5, pour mieux s’assurer d’une couverture médiatique que l’événement de Los Angeles, extrêmement concurrentiel, ne leur assure pas.
SOS surprises
Difficile de leur en tenir rigueur : les chiffres montrent que les jeux et produits annoncés les premiers sont ceux qui font le plus parler d’eux, ainsi de Doom, en 2015, et de Mass Effect Andromeda, en 2016. Mais cette course à la visibilité fait une victime : l’E3 lui-même. Des surprises ? Il y en aura. Mais moins. Des superproductions ? Elles seront en quantité. Mais la plupart seront déjà connues.
Alors, oui, il y a de la fébrilité, un mélange d’impatience juvénile et de distance raisonnée. Le plus grand Salon du jeu vidéo n’est rien d’autre qu’un Salon du rêve, un événement pensé par et pour les grands acteurs du secteur, auxquels les consommateurs n’adhèrent qu’à la condition que la promesse soit belle et le moment réussi.
« Tais-toi et prends mon argent », mème quasi officiel des spectateurs de l’E3, pour qui le consumérisme fait partie du jeu de l’événement. | Internet
On y jouit d’avoir envie d’attendre, et d’être surpris. C’est un théâtre curieux, reconnaissons-le. C’est une machine à faire rêver, à laquelle on ne pardonne guère de dérailler. Parce que dans ce temple consumériste qu’est l’E3, cette foire aux promesses, les joueurs se sont habitués à rêver, et à aimer ça.