« Nos patriotes » : portrait d’un Sénégalais tombé pour la France
« Nos patriotes » : portrait d’un Sénégalais tombé pour la France
Par Jacques Mandelbaum
A travers l’histoire d’un tirailleur, le cinéaste Gabriel Le Bomin aborde le racisme pendant la seconde guerre mondiale.
Alsace, été 1940. Débarqués brutalement des camions par les soldats allemands, des tirailleurs sénégalais sont sommés par un officier de rejouer la guerre devant des caméras pour les besoins de la propagande nazie. On leur distribue à cet effet des fusils non chargés, en oubliant juste de leur préciser que les Allemands, eux, les tireront comme des lapins, à balles réelles. Voici donc la séquence d’ouverture de Nos patriotes, du réalisateur Gabriel Le Bomin, séquence atroce, mais édifiante, qui rappelle deux vérités longtemps occultées. D’une part, la participation de 40 000 soldats venus des colonies africaines dans les rangs de l’armée française. D’autre part, les crimes de guerre dont s’est rendue coupable à leur encontre la Wehrmacht, qui les massacrait en raison de leur couleur de peau.
Il suffit à cet égard de lire Des soldats noirs face au Reich (PUF, 2015), sous la direction de Johann Chapoutot et Jean Vigreux, pour constater à quel point la vision nationale-socialiste du monde englobait dans une même haine délirante la République française, les Noirs et les juifs, supposés œuvrer ensemble à la dissolution libidineuse de la race européenne. Mais c’est plutôt d’un autre ouvrage que s’inspire Nos patriotes, qui laisse plus de champ au romanesque. Il s’agit du Terroriste noir (Seuil, 2012), signé par le romancier guinéen Tierno Monénembo, qui retrace la vie édifiante d’Addi Bâ, un Peul de Guinée, ramené en France vers l’âge de 10 ans par un précepteur blanc pour des raisons de santé, devenu avec le temps un amoureux des valeurs et de la culture françaises.
Le film commence avec la débâcle militaire de 1940. Engagé dans le douzième régiment de tirailleurs sénégalais, Addi Bâ se retrouve prisonnier, échappant par miracle au massacre qui ouvre le film. Caché par des citoyens charitables qui l’abritent, il entre rapidement en contact avec quelques résistants de la première heure, et intègre dans les Vosges le premier maquis alsacien. Trois ans plus tard, les Allemands démantèlent celui-ci sur dénonciation, et fusillent Addi Bâ le 18 décembre 1943, à Epinal. Le film évoque l’incroyable courage, le stoïcisme face au racisme qui n’épargnait pas les rangs de la Résistance, mais aussi le pouvoir de séduction de ce héros noir de 26 ans tombé pour la France. Il le fait honnêtement mais sans génie particulier, Gabriel Le Bomin, qui exerce plus souvent comme documentariste, ne parvenant décidément pas – après Les Fragments d’Antonin (2006) et Insoupçonnable (2010) – à emporter ses fictions au-delà du récit qui les suscite.
Approche multiculturelle
Au moins Nos patriotes verse-t-il une pièce supplémentaire au dossier des minorités visibles au cinéma. Inauguré dans les années 1980 avec les films dits « de banlieue », mais longtemps réduit à ce seul canon, le mouvement s’est, depuis quelques années, considérablement amplifié. Il investit désormais aussi bien les lieux de mémoire de l’histoire nationale que les genres répertoriés du cinéma français. Indigènes (2006), de Rachid Bouchareb, a ouvert la voie avec ce récit de la seconde guerre mondiale revu et corrigé par trois tirailleurs algériens et un goumier marocain.
Ont notamment suivi La Première Etoile (2009), de Lucien Jean-Baptiste, qui, sur un mode plus léger, repeint la comédie des vacances à la neige aux couleurs antillaises ; Vénus noire (2010), d’Abdellatif Kechiche, qui dévoile la hideur raciste du colonialisme dans un puissant film de dénonciation ; Intouchables (2011), d’Eric Tolédano et Olivier Nakache, comédie en noir et blanc, qui fait le carton que l’on sait sur le dépassement de la fracture socio-ethnique ; Qu’Allah bénisse la France (2014), d’Abd Al Malik, avec le même Marc Zinga, qui s’attaque au film de formation ; ou encore Chocolat (2016), de Roschdy Zem, qui s’empare du biopic pour évoquer le destin du premier artiste noir en France. Il ne fait guère de doute que ce qui se joue là est l’exigence, de plus en plus impérieuse, d’une approche multiculturelle dans l’écriture cinématographique de notre histoire, de notre culture et de notre société.
NOS PATRIOTES de Gabriel Le Bomin - Bande-annonce
Film français de Gabriel Le Bomin. Avec Marc Zinga, Alexandra Lamy, Pierre Deladonchamps, Louane Emera (1 h 47). Sur le Web : www.paname-distribution.com