Réforme contestée de la justice en Pologne : le président fait de la résistance, Bruxelles tergiverse
Réforme contestée de la justice en Pologne : le président fait de la résistance, Bruxelles tergiverse
Par Cécile Ducourtieux (Bruxelles, bureau européen), Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, bureau européen)
Andrzej Duda menace de mettre son veto à l’une des lois controversées sur la réforme de la justice en Pologne, à la veille d’une réunion de la Commission, qui reste hésitante sur l’attitude à adopter face à Varsovie.
Manifestation contre plusieurs projets de loi réformant la justice en Pologne, dimanche 16 juillet à Varsovie. | AGENCJA GAZETA / REUTERS
Le président polonais Andrzej Duda fait de la résistance à son propre parti et menace de mettre son veto à l’une des lois controversées qui organisent une mise au pas de la justice par le gouvernement ultraconservateur du parti Droit et justice (PiS). Il demande, mardi 18 juillet, que les membres du Conseil national de la magistrature soient choisis par les députés à une majorité des trois cinquièmes et non plus à la majorité simple, comme le prévoyait le gouvernement, dans son texte adopté par le Parlement, samedi.
L’annonce du président Duda intervient à la veille d’une réunion du collège des commissaires européens qui devait discuter de la situation polonaise. Les réformes controversées du système judiciaire menées par les ultra-conservateurs au pouvoir en Pologne inquiètent la Commission de Bruxelles, même si elle tergiverse sur sa réaction. Elle s’est réfugiée jusqu’ici dans des propos timides, arguant du fait que la plupart des dispositions en question n’étaient pas totalement entérinées. Beaucoup d’observateurs estiment que le pouvoir polonais est peut-être en train de franchir un point de non-retour. « Les récents développements, qui menacent sérieusement l’indépendance de l’Etat de droit, sont source d’une grande inquiétude », commente un haut responsable.
Les deux chambres du Parlement de Varsovie ont approuvé la semaine dernière deux projets de loi qui vont assurer le contrôle du système judiciaire par la majorité du PiS. La première – contestée par le président Duda – concerne le Conseil national de la magistrature. La deuxième modifie le régime des tribunaux de droit commun, dont les présidents seront nommés par le ministre de la justice.
Manifestations dimanche
Une autre proposition de loi contestée, examinée par la Diète mardi dans un débat houleux, prévoit de donner au ministre de la justice d’importants pouvoirs sur la Cour suprême, l’équivalent de la Cour de cassation. Cette future loi pourrait entraîner le remplacement de tous les juges de la Cour suprême, à l’exception de ceux qui reçoivent l’aval du ministre de la justice. « C’est très dangereux pour le système politique dans lequel nous vivons », a déclaré Malgorzata Gersdorf, la présidente de l’institution, qui est aussi chargée de valider les résultats électoraux. D’autant que des actions judiciaires ont par ailleurs été lancées contre plusieurs maires d’opposition dans plusieurs villes, dont Gdansk, Lublin ou Lodz. Le premier test électoral pour le PiS est prévu l’année prochaine, avec la tenue d’élections locales.
Des manifestations de protestation ont eu lieu dimanche dans plusieurs municipalités. Depuis la victoire du PiS, en 2015, le gouvernement a placé sous son contrôle les médias publics et l’ensemble des magistrats du Parquet, et considérablement limité les pouvoirs du Tribunal constitutionnel.
La Commission européenne a lancé une procédure de surveillance du respect de l’Etat de droit au début de 2016. Elle est basée sur un dialogue suivi avec le gouvernement polonais, mais qui pour l’instant n’a pas permis d’infléchir sa position. Activée après la réforme du Tribunal constitutionnel, elle a donné lieu à une série de recommandations dont Varsovie n’a pas tenu compte.
Traditionnellement plus sensible sur ces questions, le Parlement européen a réagi fermement. Mardi, Antonio Tajani, son président, adressait un courrier à M. Duda, lui lançant un « signal clair de préoccupation » et lui enjoignant de jouer son rôle de « garant suprême de la Constitution ». Le message semble avoir été entendu.
M. Tajani s’est aussi adressé au président de la Commission, Jean-Claude Juncker, réclamant qu’il agisse, y compris en convoquant la commission de Venise. Cet organe consultatif du Conseil de l’Europe a déjà été plusieurs fois sollicité depuis l’arrivée du PiS au pouvoir, afin de rendre un avis – négatif – sur les premières volontés de réformes du Tribunal constitutionnel polonais.
L’article 7, une « arme nucléaire »
Jusqu’où pourra aller la Commission, et singulièrement son premier vice-président, Frans Timmermans, chargé de ce dossier explosif ? L’institution est très partagée : l’étape suivante, si la Pologne n’obtempère pas, consiste à lancer une procédure d’infraction ou à recommander au Conseil européen (la réunion des pays membres) l’activation de l’article 7 des traités de l’UE. Or, cet article n’a jamais été utilisé, et pour cause : il est considéré à Bruxelles comme une véritable « arme nucléaire », sa procédure conduisant, si elle est menée à son terme, à une exclusion temporaire du pays concerné. Elle peut, en effet, aller jusqu’à le priver de ses droits de vote au Conseil européen.
M. Timmermans a longtemps espéré que des capitales montent au créneau pour lui venir en aide et exercent une pression politique sur Varsovie, seul moyen, estime-t-on à Bruxelles, d’amener le PiS à changer d’avis. Berlin est dans l’incapacité de le faire, pour des raisons historiques, toute critique allemande visant la Pologne étant jugée contre-productive et apte à nourrir un sentiment national à fleur de peau. Paris, alors ? La Commission a misé sur le fait que la France prendrait le relais mais François Hollande n’en a rien fait.
Emmanuel Macron changera-t-il ce cap ? Il semble vouloir, là encore, prendre le contre-pied de son prédécesseur et a déclaré, durant sa campagne pour la présidentielle, qu’il serait intransigeant sur le respect de l’Etat de droit en Pologne. « Les évolutions de ces derniers jours ne sont pas de nature à le faire changer d’avis », expliquait, mardi, un diplomate européen. Varsovie, pendant ce temps, compte sur l’appui de ses alliés du Groupe de Visegrad, et, en tout cas, celui du Hongrois Viktor Orban.