« Été 93 »: dans les non-dits de l’enfance
« Été 93 »: dans les non-dits de l’enfance
Par Mathieu Macheret
La Catalane Carla Simon évoque la nouvelle vie d’une fillette qui a perdu sa mère.
Le premier long-métrage de la Catalane Carla Simon peut se présenter comme la chronique estivale d’une petite fille de 6 ans dont les parents sont morts. Ce serait pourtant passer à côté du film que de le réduire à un sujet aussi écrasant. La beauté de ce coup d’essai tient à ce que l’on ne sait, de prime abord, pas bien de quoi il retourne. Son véritable sujet, beaucoup plus secret, se situe dans les interstices du film, et ne se précise que dans la durée, bien qu’un indice nous soit donné dès la première scène, lorsque l’on découvre la petite Frida jouant avec d’autres gamins dans une rue de Barcelone. L’un d’eux lui lance : « Pourquoi tu ne pleures pas ? » Question apparemment anodine qui trouvera un écho bouleversant à l’autre extrémité du film.
Le parti pris de Carla Simon se présente avec l’évidence et la force de sa simplicité : filmer à hauteur d’enfant. La caméra s’arrime donc à Frida, sans nous expliquer le bouleversement que l’on perçoit autour d’elle. Les « grands » s’affairent, on range tout comme en vue d’un déménagement, on s’échange des messes basses. Voilà Frida subitement transbahutée de la ville à une grande maison de campagne, auprès d’une nouvelle famille, constituée de son oncle Esteve, de sa tante Marga, et de leur petite fille de 3 ans, Anna. En se rangeant du côté de l’enfant, la mise en scène adopte son point de vue parcellaire et incomplet sur les événements. Nous ne devinons que par bribes qu’elle a perdu ses parents. Les carences du récit renvoient évidemment au non-dit que les adultes font peser sur l’enfant, à ce qu’ils lui taisent en pensant l’épargner.
Entre souvenirs et latences
Le récit se cale ensuite sur l’écoulement ordinaire des vacances d’été. Le temps passé à jouer dehors, les baignades, les repas en famille, les fêtes de village et les bals populaires. Des faits anodins dont Carla Simon s’empare en bloc comme d’une matière affective, qui se teinte de la qualité rétrospective du souvenir (l’action se déroule dans les années 1990, évoquant la propre enfance de la réalisatrice). Le film se vit à la fois comme une célébration du moment présent et des impressions qu’il délivre (la nature bruissante, la chaleur du soleil, les saveurs, la musique), mais aussi comme le flottement d’une douleur suspendue qui tarde à s’affirmer.
En effet, Frida ne paraît pas franchement affectée par la mort de sa mère ; elle l’est indirectement. Cette mort ne cesse de se rappeler incidemment à elle, dans la prévenance ostensible des adultes ou dans le suivi médical dont elle fait l’objet. La violence d’une telle disparition rejaillit par bouffées soudaines dans le comportement de la petite fille, plein de brusqueries et de gestes inconsidérés, notamment envers Anna, sa cadette, qu’elle met en danger plus d’une fois. Le film doit beaucoup de sa vérité psychologique à son observation patiente des deux fillettes, très jeunes actrices que Carla Simon laisse vivre devant la caméra au cours de longues prises alertes, sculptées dans une image aux contrastes solaires.
Le film décrit surtout l’apprivoisement mutuel entre les membres d’un foyer recomposé par la force des choses. En effet, l’attitude revêche de la petite fille suscite la crispation croissante de ses parents de substitution, peut-être bientôt leur rejet. La mise en scène prête attention aux ajustements affectifs de chacun, toujours susceptibles de se renverser. La résolution du film passe par la conquête d’un espace de confidence entre l’enfant et l’adulte, comme par la possibilité de nommer enfin les douleurs enfouies.
A terme, Eté 93 s’avère un beau film sur les puissances du refoulement. Le travail imperceptible qui s’opère dans la psyché de Frida n’est autre que le lent et tortueux cheminement d’une émotion contenue qui finit par éclater au grand jour. Elle se communique au spectateur au terme d’une épopée affective où le paradis perdu de l’enfance et les cimes du désespoir n’auront jamais paru aussi proches.
ETE 93 : Bande annonce du film Carla Simon
Film espagnol de Carla Simon. Avec Laia Artigas, Paula Robles, Bruna Cusi, David Verdaguer (1 h 34). Sur le web : www.facebook.com/pyramide.distribution, pyramidefilms.com/ete-93