Quand la Seine devient source d’innovations urbaines, tissant des liens entre Paris et Le Havre
Quand la Seine devient source d’innovations urbaines, tissant des liens entre Paris et Le Havre
Par Laetitia Van Eeckhout
Les maires de Paris, de Rouen et du Havre ont dévoilé, mercredi 19 juillet, les vingt lauréats de l’appel à projets Réinventer la Seine.
Rouen et Le Havre ont lancé en mars 2016 un appel à projets Réinventer la Seine. Parmi les vingt premiers projets retenus un an et demi plus tard, la jeune entreprise Barges et Berges. | BARGES ET BERGES_BRS Architectes
Une flotte de barges mobiles où habiter, travailler et créer qui, selon les saisons, accostent au Havre ou à Paris ; un centre d’art urbain flottant pour découvrir des artistes du Grand Paris et au-delà ; une boulangerie et une brasserie artisanales qui s’approvisionnent en matières premières et délivrent leurs produits par voie fluviale… telles sont les premières esquisses d’une métropole qui pourrait finir par s’étendre de Paris au Havre via Rouen, dont les maires ont dévoilé, mercredi 19 juillet, les vingt projets gagnants du concours Réinventer la Seine (sur 174 candidatures).
Lancé en mars 2016, cet appel à projets innovants a suscité un engouement à la hauteur de Réinventer Paris. « Cela a été une formidable occasion d’attirer l’œil sur notre ville, s’enthousiasme Luc Lemonnier, successeur d’Edouard Philippe à la mairie du Havre, qui a retenu trois projets. Des acteurs que nous n’avions jamais vus avant se sont intéressés à notre commune et nous ont apporté un regard renouvelé sur notre territoire. Cela crée une émulation. Ces projets expriment la volonté de faire des sites proposés, à la frange de la ville et du port, des lieux hybrides, avec une programmation multidimensionnelle. Ce qui renforce l’attractivité de notre territoire. »
Le groupe Pichet, promoteur, propose ainsi de transformer en un quartier intégré à la ville la presqu’île Frissard, située sur une ancienne emprise portuaire à proximité du campus havrais. Ses 4 900 m2 accueilleront une résidence étudiante, une résidence de tourisme et des logements – dont les besoins thermiques seront alimentés à 80 % par une pompe à chaleur eau de mer. Au rez-de-chaussée : une ferme aquaponique, et un vaste et lumineux lobby multiservices abritant un restaurant, une épicerie fine de produits locaux, une médiathèque-librairie.
Le groupe immobilier Pichet propose de transformer la presqu’île de Frissard, au Havre, en un véritable quartier intégré à la ville. On y trouvera une résidence étudiante, une résidence de tourisme, des logements, une ferme aquaponique, un restaurant, une épicerie fine et une médiathèque-librairie. | EXPLORATIONS ARCHITECTURE
Acteurs inhabituels dans l’urbanisme
Initialement, les collectivités partenaires – ainsi que l’établissement public Haropa-Ports de Paris Seine Normandie – avaient identifié vingt-deux sites bordant le fleuve. Surfaces d’eau avec ou sans terre-plein, estacades, bâtiments industriels désaffectés sur rives, places désaffectées ou parkings sur quai… Les sites proposés présentaient souvent de fortes contraintes et leur équilibre économique n’était pas évident – la reconversion de deux d’entre eux a d’ailleurs été abandonnée dans l’immédiat, faute de projet convaincant. « La complexité des terrains a néanmoins favorisé une forte créativité et fait entrer dans le jeu des acteurs inhabituels dans des projets d’urbanisme », relève l’architecte Alexandre Labasse, directeur du Pavillon de l’Arsenal (Paris), qui a participé au jury.
Noctis, exploitant de lieux parisiens de restauration festifs et événementiels (le Yoyo sous le Palais de Tokyo, Les Jardins de Bagatelle, le Queen, etc.), et Miala, agence consacrée à la musique électronique (à l’origine notamment de la Techno parade), se sont ainsi alliés pour proposer de transformer la culée droite du pont Alexandre-III en un lieu de spectacle vivant, d’événements d’entreprise, d’afterworks et même de concertations et de débats citoyens.
Culturel, ce projet ne dérogera pas pour autant aux exigences environnementales : entièrement éclairée avec des LED basse consommation, l’espace sera doté d’une double peau intérieure pour respecter la tranquillité des riverains, et d’une installation thermique utilisant l’eau de la Seine.
Les acteurs culturels Noctis et Miala vont transformer la culée droite du pont Alexandre-III, à Paris, en un lieu de spectacle vivant, d’événements d’entreprise, d’afterworks et même de concertations et débats citoyens. | 1024 Architecture
Renouvellement des usages
« Les projets retenus présentent une grande variété. Le fleuve favorise une grande diversité économique », observe François Philizot, préfet délégué au développement de la vallée de la Seine. « Ils offrent un vrai renouvellement des usages sur l’eau », abonde Marion Alfaro, directrice de l’Agence Paris-Seine.
Au port du Gros-Caillou, dans le 7e arrondissement de Paris, devrait voir le jour un centre d’art urbain flottant. Le port des Invalides, quant à lui, accueillera un moulin à roue, qui s’approvisionnera en matières premières et distribuera ses produits de boulangerie traditionnelle par bateau.
Tout aussi « écolo » mais plus atypique encore, la réhabilitation des anciennes écuries de la Briche, le long du canal Saint-Denis, en amont de la confluence avec la Seine. Ici deux normaliens et un ingénieur des arts et métiers proposent d’ouvrir une brasserie artisanale dont la production de bière serait transportée en vrac sur péniche, pour être distribuée dans les bars de la capitale et de la petite couronne.
Les derniers kilomètres entre les quais et les bars s’effectueront avec des triporteurs électriques. Les bières – produites grâce à l’énergie renouvelable tirée de la revalorisation des drêches de brasserie – pourront aussi être dégustées dans la cour extérieure des écuries. Des visites guidées du lieu et des sorties scolaires seront aussi organisées.
Dans les anciennes écuries de la Briche, le long du canal Saint-Denis, une brasserie artisanale produira de la bière qui sera transportée en vrac dans une péniche, pour être distribuée dans les bars de Paris et de la petite couronne. Ce projet est porté par deux normaliens et un ingénieur des Arts et Métiers, reconvertis. | Lemerou Architecture
Première station-service multiénergies propre
La palme de l’innovation la plus « durable » revient au parking du pont de Grenelle. Sur ces 6 420 m2 situés sur les berges de la rive droite, en face de la Maison de la radio (16e arr.) sera construite la première station-service publique multiénergies propre. En Seine !, tel est son nom, proposera de l’hydrogène, du biométhane, du biocarburant (E85) et sera dotée de bornes de rechargement électrique rapide.
Le spécialiste de l’immobilier logistique Sogaris et le promoteur PRD Office, mandataires du projet, ont entraîné dans leur sillage les groupes Total, Air Liquide, Enedis, GRDF. Tout un symbole.
Au niveau du pont de Grenelle à Paris, sur la berge rive droite en face de la Maison de la radio, va être construite la première station service multi-énergies propres, ouverte au public. La station développera aussi une activité de logistique urbaine fluviale. | SANSOM LACOSTE
Last but not least, la station développera une activité de logistique urbaine fluviale : elle assurera, avec des véhicules utilitaires légers ou des triporteurs, la livraison, sur les derniers kilomètres, des marchandises arrivées par les voies fluviales.
« Ce projet est particulièrement intéressant car il est en soi une innovation énergétique et préfigure le développement de la logistique fluviale propre. Et cela rencontre la volonté de la Ville de Paris de développer la mobilité propre et de transformer la logistique du dernier kilomètre », souligne Jean-Louis Missika, adjoint à la maire de Paris chargé de l’urbanisme.
Fédérer la vallée de la Seine
« Le Petit Sportif », l’une des quatre barges imaginées par la jeune entreprise Barges et Berges, qui permuteront entre le port de Tolbiac à Paris et celui du bassin de la Vatine au Havre, au gré des saisons. Sur les trois autres, il sera possible d’habiter, de travailler, de créer. | BARGES ET BERGES_BRS Architectes
Nombreux sont les projets qui prennent appui sur la voie fluviale pour leur approvisionnement ou leur distribution. L’un d’eux fédère la vallée de la Seine, du Havre à Paris. Jeune entreprise créée par des architectes, des designers et des enseignants, Barges et Berges a imaginé une flotte de quatre barges mobiles où il sera possible d’habiter, de travailler et de créer. Elles permuteront, au gré des saisons, entre le port parisien de Tolbiac et celui du bassin Vatine, au Havre.
Le Petit à côté se veut un incubateur de nouveaux usages, avec une cuisine ouverte, une ressourcerie, des ateliers et expositions. Le Petit Coliving, barge destinée à l’habitat, proposera des espaces privatifs pour accueillir temporairement enseignants, chercheurs, étudiants (notamment étrangers) du campus havrais durant l’année scolaire ; et l’été il permettra d’augmenter les capacités d’hébergement de l’auberge de jeunesse qui jouxte le port de Tolbiac.
Sur La Petite Graine, l’idée est de « faire pousser des carottes et des idées » : tables d’hôtes midi et soir avec les produits de la vallée de la Seine au niveau supérieur et espaces connectés de projections et de conférences au niveau inférieur. Enfin, Le Petit Sportif sera une barge de loisirs pour faire du sport et s’amuser.