Electro, reggae et tortues protégées
Electro, reggae et tortues protégées
Par Frédéric Potet (La Jemaye (Dordogne, envoyé spécial)
Situé au bord d’un étang du Périgord classé Natura 2000, le Grand souk se veut un modèle de festival alliant écologie et accueil du public.
Anaïs Kervella
Qu’il soit de rock, de musique classique, de théâtre ou de danse contemporaine, tout festival se déroulant en plein air se doit aujourd’hui d’être écoresponsable. Le dispositif est le même partout : toilettes sèches, gobelets recyclables et cendriers de poche composent l’incontournable arsenal des manifestations soucieuses de ne laisser aucune trace derrière elles. L’accent sur la protection de l’environnement est mis avec davantage de fermeté sur certains rassemblements. Ainsi le Grand souk, un festival de musique actuelle se déroulant au bord du grand étang de la Jemaye (Dordogne), un site classé Natura 2000.
Habitent ici une dizaine d’espèces protégées aux noms poétiques : la cistude d’Europe (une tortue), le fadé des laîches et le cuivré des marais (des papillons), le gomphe de Graslin (une libellule), la lamproie de Planer, l’écrevisse à pattes blanches… L’endroit est également une mosaïque de milieux sensibles avec ses prairies au sol argilo-sableux, ses landes humides, ses chênaies, ses roselières et ses herbiers à littorelle. Le lieu est splendide, mais fragile. Trop fragile à l’évidence pour qu’y soit organisé un festival, synonyme de piétinements, de nuisances sonores et autres désagréments liés à la consommation collective de nourriture, d’alcool et de tabac.
La huitième édition du Grand souk s’est bel et bien tenue en bordure de l’étang, pour la deuxième année consécutive (après avoir quitté son site d’origine, à Ribérac). Une foule modeste (2 000 spectateurs) est venue assister, vendredi 21 et samedi 22 juillet, à une programmation astucieuse, valant bien celle de manifestations plus importantes (Arno, Yuksek, François & The Atlas Moutains, Joe Pilgrim & The Ligerians…).
Activiés nautiques ret ludique sur l’étang de la Jemaye. | Anaïs Kervella
Les festivaliers ont pu pratiquer gratuitement des activités nautiques et sportives dans l’après-midi du samedi avant de rejoindre un « amphithéâtre naturel » : un terrain en pente situé sous les frondaisons permettant d’avoir une vue sur les deux scènes de concert ainsi que sur le plan d’eau, en arrière-fond.
« L’idée est de proposer un week-end en pleine nature, dans un espace situé hors du temps. Même s’il perdure encore, le concept du festival planté au milieu d’un champ ou sur le stade de foot, avec la scène devant et la buvette derrière, est un peu passé de mode, estime Pierre Ouzeau, le directeur artistique de l’Agence culturelle départementale de Dordogne, le maître d’œuvre du Grand souk. La qualité de l’accueil est devenue un enjeu primordial dans l’organisation des festivals. Les gens veulent assister à des concerts dans de beaux sites et sans avoir attendre une heure pour commander une bière. Ce ne sont pas des bestiaux. »
Set de DJ sur la plage de l’étang de la Jemaye. | Anaïs Kervella
Les loutres et les tortues n’en sont pas non plus. Afin de ne pas perturber la faune, les organisateurs ont dirigé les enceintes au nord, à l’opposé de la rive où les espèces protégées ont l’habitude de nicher. Une sonorisation de type « line array », commune à de nombreux festivals de musique amplifiée, a par ailleurs été installée afin de proposer une couverture uniforme et homogène, concentrée sur une zone d’audience rendue la plus conviviale possible, de telle sorte que les spectateurs n’aient pas dans l’idée d’aller s’aventurer à l’extérieur.
Installer un festival au milieu d’une forêt de résineux située au bord d’un plan d’eau revient en effet à s’exposer aux deux pires risques qui soient : la noyade et l’incendie. Raison pour laquelle un camion de pompiers dominait le site pendant les deux soirs. Toute une collection de cendriers, fabriqués à partir de pneus, de canettes, de boîtes de conserve et de gobelets à résine fixés sur les arbres, constellait le lieu. « Notre objectif est de rendre le site lundi soir, quand tout aura été démonté, aussi propre qu’il n’était, et même plus propre qu’il n’a jamais été », explique Jean-Louis Paris, à la tête d’une petite équipe de bénévoles chargés de ramasser les mégots ayant échappé au dispositif.
Des cendriers dans des pneus ont été spécialement fabriqués pour le festival. | Anaïs Kervella
Le recyclage, enfin, a battu son plein durant tout le week-end. Les déchets alimentaires ont été mis de côté à destination d’un éleveur de sangliers situé sur une commune voisine. Distribuées sur le site, les assiettes biodégradables (en matière végétale) ont rejoint le bac à compost d’un agriculteur des environs. Seuls les gobelets en plastique et les serviettes en papier ont rempli les sacs-poubelles noirs destinés à la déchetterie.
Le Grand souk ne compte pas en rester pas là. Le festival envisage déjà, pour l’an prochain, de passer commande d’assiettes et gobelets comestibles, fabriqués à partir de son de maïs. « Ceci représentera sans doute un coût important pour un festival comme le nôtre, souligne Jean-Louis Paris. La principale difficulté sera toutefois de trouver un éleveur de lapins dans le coin afin de privilégier les circuits courts. »