L’avis du « Monde » – pourquoi pas

S’il est un territoire sur lequel le cinéma des pays de la défunte Union soviétique s’est rarement aventuré, c’est justement celui de l’agonie de l’empire. Hostages (et l’on soupirera une fois de plus face au recours à l’anglais pour un titre de film qui n’a rien à voir avec les langues et la culture anglo-saxonnes) mérite d’être vu parce qu’il pose un regard, celui d’un jeune réalisateur géorgien Rezo Gigineishvili, né en 1982, sur l’un des événements les plus symptomatiques de la décomposition à venir de l’URSS. Que ce regard soit fragmentaire et, au bout du compte, presque timide, empêche le film de s’élever à la hauteur de son sujet, sans lui enlever – loin de là – tout son intérêt.

Dans la nuit du 18 au 19 novembre 1983, un appareil des lignes intérieures de l’Aeroflot était détourné entre Tbilissi et Batoumi, station balnéaire sur la mer Noire par des pirates de l’air qui voulaient gagner la Turquie voisine. Le pilote parvenait à ramener l’appareil à Tbilissi et au bout de quelques heures, les forces armées donnaient l’assaut. Le bilan fut de sept morts, deux passagers, trois membres d’équipage et deux pirates de l’air. Le détournement était l’œuvre d’un groupe de neuf jeunes gens issus de la bonne société géorgienne, sept garçons et deux filles. Le procès des survivants, en août de l’année suivante, se conclut par la condamnation à mort de quatre d’entre eux, « les frères Iverieli, tous deux médecins, le comédien Kobakhidzé et le prêtre orthodoxe Tchikhladzé » énumérait à l’époque le correspondant du Monde. Il est à noter que le dernier cité n’était pas à bord de l’avion.

Une histoire découpée en vignettes

Pour raconter cette histoire, Rezo Gigineishvili et son coscénariste Lasha Budgadze l’ont découpée en vignettes qui scandent le parcours des principaux personnages de la préparation du détournement au procès. Il s’agit de dessiner la vie quotidienne dans un empire au bord de l’éclatement. De ce point de vue, le début de Hostages parvient à rendre compte des contradictions insupportables entre la vie d’une jeunesse plus ou moins dorée, nourrie de rock occidental, intoxiquée aux Camel sans filtres, qui doit composer avec une structure de pouvoir qui n’a renoncé à aucun des articles de foi du stalinisme, quand bien même la vie quotidienne dément chacun d’entre eux.

Dans une lumière froide qui éclaire les décors sinistres de l’espace soviétique, les jeunes gens se débattent entre des parents terrifiés par l’inconscience de leurs rejetons, leurs propres aspirations mal définies qui reposent sur une vision illusoire de la vie en Occident. A Londres, ils auraient monté un groupe de rock, à Paris, ils se seraient mis au cinéma. A Tbilissi, ils se font pirates de l’air, et on les trouve plutôt sympathiques. Lorsque Nika (Irakli Kvirikadze) et sa jeune épousée Ana (Tina Dalakishvili) montent dans l’appareil de l’Aeroflot, on a l’impression de commencer à les connaître.

Récit traité de façon lacunaire

Le détournement est mis en scène avec force détails, mettant entre autres en évidence la responsabilité des pirates dans le bain de sang. Le contrechamp de ce qui se passe dans l’appareil – les tentatives de négociation, l’organisation de l’assaut – puis le traitement policier et judiciaire de l’affaire reviennent à la méthode qui prévalait au début de Hostages. Cette fois, cette façon lacunaire de traiter le récit se retourne contre ses auteurs.

Cet homme à l’imposante chevelure blanche qui arbore une mine soucieuse pendant que les autorités décident de la réponse à apporter, c’est probablement Edouard Chevardnadze, à l’époque premier secrétaire du parti communiste géorgien, on est prié de le deviner. De ces jeunes gens hagards dans le box des accusés, on ne saura pas quel fut le sort entre leur arrestation et leur comparution. Les personnages s’éloignent, deviennent des silhouettes pas mieux définies que les noms énumérés dans une dépêche d’agence de presse.

HOSTAGES | BANDE ANNONCE VOSTFR //Drame (2017)

Film géorgien, russe et polonais de Rezo Gigineishvili. Avec Tina Dalakishvili, Irakli Kvirikadze, Giga Datiashvili (1 h 43). Sur le Web : www.kinovista.com/film-hostages.html