Seul athlète à faire hurler le public du stade Queen Elizabeth plus fort encore qu’Usain Bolt, Mo Farah a remporté le 10 000 m vendredi soir. Le quadruple champion olympique s’est adjugé son sixième or mondial, et pourra viser un nouveau doublé avec le 5 000 m.

Mo Farah à l’arrivée du 10 000 m, vendredi 4 août. | Matthias Schrader / AP

  • La perf’

A la fin de chaque été, Mo Farah « pèse » de plus en plus lourd. Mais soyons francs, cela ne saute pas aux yeux du profane. A première vue, en regardant son corps affûté à l’extrême, on se demande où le Britannique pourrait bien avoir accumulé quelques kilos en trop.

Il y a ces jambes fines comme des bras, ce physique anguleux, seulement arrondi par la rondeur de son crâne parfaitement lisse. A la limite, si l’on voulait vraiment traquer quelques grammes superflus, il faudrait aller les chercher en rasant son bouc soigneusement entretenu. Du haut de ses 34 ans, le Britannique, habillé et tout mouillé, doit peser autant qu’une danseuse étoile sans ses chaussons.

Et pourtant, « Sir Mo » a encore pris du poids, vendredi 4 août en fin de soirée, en ouverture des Mondiaux d’athlétisme. A Londres, à domicile, il a remporté la médaille d’or. Une de plus à enfiler autour de son cou. Il y a bien eu les accélérations des Kényans, celles des Ethiopiens et celles des Ougandais. Mais au final, celles de Mo Farah ont été décisives, dans un stade rempli et ivre de bonheur.

Au terme d’une course rapide bouclée en 26 min 49 s 51 - deuxième meilleur chrono de l’histoire des Mondiaux sur la distance -, Farah a devancé l’Ougandais Joshua Kiprui Cheptegei (26 min 49 s 94) et le Kényan Paul Kipngetich Tanui (26 min 50 s 60). Ses accélérations répétées dans l’ultime tour auront eu raison d’une concurrence pourtant accrocheuse. Et le dénouement ressembla à celui des dernières années : « a piece of cake » pour celui qui se goinfre de podiums depuis six ans.

Avec désormais six médailles d’or mondiales autour du cou, sans oublier ses quatre titres olympiques, Mo Farah apparaît comme le deuxième poids lourd de l’athlétisme derrière l’intouchable Usain Bolt. Avant la finale du 5 000 m, prévue samedi 12 août, il est toujours en course pour un troisième doublé consécutif 5 000m-10 000m lors des Mondiaux. En cas de succès, il aura réussi à aligner onze succès consécutifs en finales mondiales et olympiques. Est-il besoin de préciser que personne n’a jamais fait aussi bien sur ces longues distances ?

Pourtant, en début de saison, le natif de Mogadiscio avait dû sortir sa carapace, comme souvent ces dernières années, et se coltiner sa traditionnelle pelletée de soupçons. Lui dont la progression chronométrique a coïncidé lors de sa collaboration avec le sulfureux coach américain Alberto Salazar, s’y est un peu habitué, par la force des choses.

Au début du mois de juillet, les ours mal léchés des Fancy Bears ont laissé entendre que le Britannique avait été pris la main dans le pot à confiture. Le Daily Mail a indiqué que, selon des documents fuités, la star figurait parmi une plusieurs athlètes dont les données du passeport biologique étaient anormales et laissaient supposer un dopage, fin 2015. Quelques mois plus tard, le profil hématologique de Farah était à nouveau jugé « normal ».

Ce type de polémiques, le Britannique a appris à les collectionner comme il entasse les médailles. En juin 2015, la BBC révèle que son coach Alberto Salazar, à la tête du Nike Oregon Project, est au cœur d’une enquête de l’agence antidopage américaine. Dans la foulée, le Daily Mail souligne qu’il a raté deux tests inopinés en 2010 et 2011. Cela n’a rien de répréhensible puisqu’il aurait fallu un troisième pour lui valoir une sanction. Mais à défaut de suspension, ces révélations lui provoquent un climat de suspicion. En athlétisme, le doute profite rarement à l’accusé.

Si Mo Farah, qui prendra sa retraite au terme de la saison, a offert au Royaume-Uni la première place au classement des médailles par nation, les hôtes auront du mal à conserver longtemps cet accessit.

Car à dire vrai, en l’absence de plusieurs médaillés des JO 2 012 - le sauteur en longueur Greg Rutherford, blessé, ou Jessica Ennis-Hill, retraité - la prochaine grosse chance de titre pour les Britanniques, sans faire injure à ses compatriotes Laura Muir ou Dinah Asher Smith, attendra sûrement samedi 12 août. Et se prénommera Mo Farah. En cas de succès, voilà qu’il ferait de beaux adieux à la piste, lui qui souhaite désormais se consacrer au marathon. Ce serait la « cherry on the cake » pour l’insatiable Mo Farah.

  • C’est vu

Jeff Henderson, en mode nervous breakdown. | TOBY MELVILLE / REUTERS

Si Usain Bolt n’a pas eu la moindre difficulté à se qualifier pour les demi-finales du 100 m de samedi, la soirée de vendredi ne s’est pas forcément bien passée pour tout le monde. Prenez l’Américain Jeff Henderson. Il y a un an, à Rio, il était sacré champion olympique. Et le voilà qui se fait piteusement sortir dès les qualifications, sans parvenir à franchir la ligne des huit mètres.

  • Zone mixte

(Chaque jour, « London recalling » vous propose un instantané de la zone mixte, ce drôle d’endroit où athlètes et journalistes suent les uns à côté des autres.)

Une gueule d’ange et un sourire indélébile, comme son tatouage. Lui, c’est Lelu Tamoa, 23 ans, unique représentant de l’Etat des Tuvalu aux Mondiaux de Londres.

YB

Vendredi soir, Lelu Tamao participait au tour préliminaire du 100 mètres. Avec la possibilité, pourquoi pas, de se qualifier pour le tour suivant et d’aller titiller Usain Bolt. Spoiler : ce n’est pas pour cette fois. A la question de savoir s’il est tout de même content d’avoir abaissé son meilleur chrono de 12 s 73 - comme l’affichait l’IAAF - à 12 s 12, le jeune homme corrige poliment : « En fait mon meilleur temps c’est 11 s 46, aux Tuvalu Games, alors je n’ai pas battu mon record. »

Aucune amertume pour autant après sa huitième place, bon dernier de tous les participants. Lelu Tamao n’est pas du genre mauvais perdant. « J’ai commencé l’athlétisme en 2016, contextualise-t-il. J’ai fait une compétition, fini premier et ils m’ont sélectionné. » Plus jeune, il a goûté au foot et au rugby. Son oncle, qui a participé à des Jeux olympiques comme sprinteur - Lelu ne se souvient plus lesquels, peut-être Pékin, peut-être pas - lui a donné l’envie de représenter son pays, un archipel polynésien, indépendant depuis 1978.

Lelu Tamao n’en dira pas beaucoup plus. Souriant le Tuvaluan, mais pas vraiment du genre bavard. On apprendra quand même qu’il suit des études d’ingénierie mécanique aux Fidji, avec « trois entraînements par semaine, mais parfois un seul quand il y a trop de travail ». Et qu’il n’était pas dans les meilleures dispositions, vendredi : « J’étais un peu stressé. Il y avait trop de monde dans le stade. » Les 60 000 personnes dans le stade « Queen Elisabeth », cela représente tout de même 5 fois la population des Tuvalu.

« Ca vient de la culture samoane », nous apprend Ielu Tamoa, un brin mystérieux. | YB

De sa course à Londres, Lelu Tamao tire un enseignement : « Il faut que je m’entraîne plus. » Mais en attendant, il a prévu de visiter la capitale, où il va rester encore dix jours. « Je veux visiter les lieux connus, il y a une tour, il paraît. »

« Et ça, c’est le nom de mon grand-père. » | YB

  • Le podium du jour

10 000 m masculin : 1. Mo Farah (Royaume-Uni) 2. Joshua Kiprui Cheptegei (26 min 49 s 94) 3. Paul Kipngetich Tanui (26 min 50 s 60).