Fini de se faire vampiriser la vedette, le loup-garou, longtemps marginalisé par la culture pop, a enfin le droit aux premiers rôles – grâce à une sacrée cure de jouvence.

Cela fait des siècles que les buveurs de sang sont plus populaires. Ils sont beaux, immortels, riches, cultivés – et parfois même, ils brillent. Les loup-garous, eux, sont poilus, bavent, grognent et déchiquètent tout sur leur passage une fois par mois, les soirs de pleine lune. Ces dernières années, de Harry Potter à Underworld en passant par Twilight, le loup-garou était respectivement le monstre qui aime mordre les petits enfants, le damoiseau en détresse, ou encore celui qui n’aura jamais la fille.

Jusqu’à ce qu’entre en scène Teen Wolf. La série créée par MTV en 2011 raconte l’histoire de Scott, un lycéen qui se fait mordre par un loup-garou. Après six saisons, la série basée sur le film du même nom (Rod Daniel, 1985), entame son ultime saison, diffusée en France depuis samedi 5 août. Bilan ? Elle pourrait bien avoir réussi l’impossible : rendre le loup-garou mignon et tendance.

Une série hybride

La nouvelle « Teen Wolf », écrite par Nancy Holder, revient aux origines de la série. / MTV Books

Entre comédie et horreur, la série s’adresse d’abord aux ados : Scott doit apprendre à maîtriser ses nouveaux pouvoirs, avoir de bonnes notes en classe, séduire la fille dont il est amoureux et faire les quatre cents coups avec son meilleur ami Stiles... tout en essayant de retrouver le loup-garou qui l’a mordu.

« Les garçons sont souvent torse nu, il y a un côté libre et sauvage. La testostérone vole dans tous les sens », décrit Nancy Holder au Monde. L’écrivaine américaine a écrit un livre dérivé de la série, Fire, mais également plus d’une dizaine de livres sur Buffy contre les Vampires« La série est beaucoup plus euphorique que Buffy où être un vampire, c’est être un monstre ou souffrir. Dans Teen Wolf, devenir un loup-garou est libérateur. »

La comparaison entre Teen Wolf et Buffy n’est pas anodine. Jeff Davis, le créateur de Teen Wolf (mais aussi Esprits Criminels), s’est inspiré de la série de Joss Whedon et de The Lost Boy (un autre film de vampires) pour mettre au point ses loup-garous.

2,6 millions de spectateurs par épisode, 383 tweets à la minute

Teen Wolf plaît. Pendant deux ans, la série accumule doucement de l’audience avant de passer un cap avec la troisième saison. Elle passe de 10 épisodes à 22 et réhausse un peu le budget grâce à un investissement de Viacom, l’entreprise qui possède MTV (mais également Paramount Picture ou Nickelodeon). Teen Wolf est aussi une série très discutée en ligne. En 2014, elle est par exemple sixième au classement Nielsen des séries ayant le plus de portée sur les réseaux sociaux. Pour une audience moyenne américaine de 2,6 millions de spectateurs pour chaque épisode, elle comptabilise 383 tweets à la minute. En comparaison, Game of Thrones générait la même année 3,5 millions de spectateurs et 159 tweets à la minute. Un engouement qui s’est aussi transmis via la communauté de fans très active en ligne, mais aussi aux conventions.

La transformation de Scott dans « Teen Wolf » se limite souvent au visage, à la couleur de ses yeux et à ses dents. / MTV

« Je m’attendais à ce qu’il n’y ait que des filles », se souvient Nancy Holder. L’auteure était à la Comicon, la plus grande convention de pop culture américaine, pour préparer son livre Teen Wolf :

« Il n’y avait qu’une ou deux saisons de sorties à l’époque. Mais il y avait au moins autant de garçons dans la salle. Et tout le monde est devenu fou lorsque les acteurs sont entrés sur scène. »

Nouveau sex-symbol

Kaja Franck est l’une des rares expertes sur les loups-garous et s’intéresse beaucoup à Teen Wolf. La doctorante a fait sa thèse à l’université du Hertfordshire, en Angleterre. Elle s’excuse presque de ce choix de sujet : « Vous devez être original quand vous faites un doctorat et que tout le monde parle déjà de vampires ! », admet-elle en riant.

« Ce qu’il y a de bien avec une série comme Teen Wolf, c’est qu’elle réinscrit le loup-garou dans la logique moderne. La vision que l’on peut avoir du loup-garou aujourd’hui – à savoir la morsure qui transforme, l’herbe tue-loup, ou l’idée que l’homme devient un monstre sanguinaire qui se réveille le lendemain matin et se demande horrifié :  “Mais qu’est-ce que j’ai fait ?” – date de 1930, 1940. Dans les récentes versions du loup-garou, celui-ci garde sa subjectivité, une forme de conscience lorsqu’il se transforme. »

Dans la série « True Blood », Joe Manganiello (à droite) interprète un loup-garou et dispute l’attention de l’héroïne avec deux vampires. / HBO

Dans des séries comme True Blood (HBO, 2008-2014) ou Vampire Diaries (The CW, 2009-2017), toutes les deux centrées sur les vampires, les loup-garous étaient déjà en effet plus nuancés. Les personnages peuvent apprendre à contrôler leur animalité. « Il y a une inspiration directement venue des films et des séries de vampires pour rendre le loup plus désirable », constate Marisa C. Hayes, chercheuse franco-américaine qui a notamment participé à la revue Supernatural Studies. Elle ajoute dans un billet de blog écrit à la suite de notre entretien que le loup-garou devient « un hybride surnaturel dont les pouvoirs capturent la sensualité et la transcendance du vampire. »

« Dracula avait des traits semblables au loup-garou »

Un nouveau développement qui va complètement à l’encontre de l’histoire du mythe. Depuis son apparition, le loup-garou est une transformation négative, violente, associée à la domination, à l’instinct et à l’animal. Au Moyen Age, si la sorcière est le pendant féminin du démon, le loup-garou en est le versant masculin. Des procès de loup-garous ont d’ailleurs lieu à la même époque que la chasse aux sorcières.

A l’époque victorienne, son image évolue, explique au Monde Janine Hatter, qui enseigne la littérature du XIXe siècle à la Sheffield Hallam University. Les histoires gothiques racontent la lutte des classes et le désir d’ascension. Il devient la représentation des ouvriers, tandis que le vampire est l’aristocrate.

All About : Werewolf / Lycanthrope - (PART 1 of 2 ) Mythical Creatures, MONSTER

Par la suite, le loup-garou ne se remettra jamais vraiment du Dracula de Bram Stoker. « Avant que Stoker ne le change, Dracula avait des traits semblables à ceux du loup au départ », raconte Janine Hatter.

« Il avait des griffes, des paumes poilues et se transformait en chien ou en loup. Stoker a gommé toutes ces caractéristiques parce qu’il avait peur que l’on s’emmêle les pinceaux entre vampires et loup-garous. »

Le roman donne un statut d’icône au vampire qui va ensuite gouverner le paysage mythologique gothique pendant un siècle. C’est pourquoi le créateur de Teen Wolf, Jeff Davis, avait envie de faire original. « Dès le départ, on a décidé de rester dans la mythologie des transformations et des changeurs de forme avec Teen Wolf », confie-t-il au Monde. « Il faut dire que les vampires avaient déjà été faits à mort – pardonnez le mauvais jeu de mot », ajoute-il en riant.

Jeff Davis voulait faire original en restant dans une mythologie sans vampires. / MTV

Des filles qui ont du mordant

L’arrivée de Malia Tate, coyote-garou, dans la série a également retourné beaucoup des clichés du genre. « Il y a toujours eu un grand manque de femmes loups-garous, explique Kaja Franck. Elles ont souvent été ignorées ou reléguées au second plan dans les fictions en général. Leurs émotions sont réprimées, elles font preuve de violence et leurs traits sont masculins. »

Dans le spin-off de la série « Vampire Diaries », « The Originals », l’une des héroïnes (Phoebe Tonkin en bas à droite) est un loup-garou et est enceinte d’un bébé hybride vampire-loup-garou. / The CW

Dans Twilight, le seul personnage de loup-garou féminin, Leah Clearwater, est sans cesse rejeté et dénigré par les membres de sa meute. Mais dans Teen Wolf, Malia embrasse cette part animale qui suscite de nombreuses scènes comiques sans jamais la rendre ridicule. Elle est l’égale des loup-garous hommes, mais aussi des autres filles de la série.

Le loup-garou permet de parler d’amitié, de famille et de meute

Et c’est cette envie de renverser les codes établis qui, peut-être plus que tout le reste, a permis à Teen Wolf d’autant renouveler le loup-garou. La transformation devient l’allégorie de l’adolescence – comme celle du vampire a pu l’être auparavant. Mais plutôt que de refléter la différence et la solitude, comme le font généralement les histoires de vampires, le loup-garou permet de parler d’amitié, de famille et de meute. L’animalité est toujours présente, mais canalisée dans une activité constructive comme le sport : les personnages de Teen Wolf sont nombreux à jouer à la « lacrosse » américaine dans l’équipe du lycée.

Werewolves: Through the Ages (Movie Transformations)

« La crédibilité des scènes de transformation a aussi forcément joué », ajoute Franck Boulègue, critique de cinéma et de télévision. Teen Wolf a beaucoup travaillé l’esthétique du loup-garou. Jeff Davis explique avoir beaucoup appris sur les effets spéciaux avec la série.

« Avec la première saison, nous avons réalisé qu’il était très dur de faire un loup-garou entier. On a donc du devenir plus intelligent sur le maquillage – surtout que nous n’avions pas le budget d’un film Marvel. Progressivement, on s’est dirigés vers un look plus sexy. »

Rien d’étonnant à ce que Teen Wolf aligne les adolescents au torse nu, imberbe et musclé plutôt que des bêtes poilues et sanguinolentes. « Nos loups-garous sont mignons, s’amuse Jeff Davis. On a envie de les câliner. »