Angola : « L’essentiel pour l’Unita, c’est de déloger le MPLA du pouvoir »
Angola : « L’essentiel pour l’Unita, c’est de déloger le MPLA du pouvoir »
Propos recueillis par Joan Tilouine (Benguela (Angola), envoyé spécial)
Isaias Samakuva, leader de l’opposition, est candidat au scrutin du 23 août. Il se dit en mesure de l’emporter « si les élections sont libres ».
Quand il fait son entrée à Benguela, à 550 km au sud de Luanda, Isaias Samakuva mobilise les foules. Il y a là les fidèles de l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (Unita), l’ancienne rébellion de Jonas Savimbi devenue premier parti d’opposition. Il y a aussi de nombreux déçus du pouvoir, qui a délaissé le Sud et ses villages affectés par les années de guerre civile (1975-2002).
Pourtant, Joao Lourenço, le candidat du Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA), qui devrait succéder à José Eduardo dos Santos à la présidence, est originaire de la région et a gouverné la province de 1987 à 1990.
A 71 ans, Isaias Samakuva mène sa dernière campagne, avec peu de moyens, comparé au MPLA qui lui mène la vie dure. Son matériel est arrivé il y a une semaine seulement, certains de ses cadres se plaignent d’être intimidés et l’organisation des meetings est laborieuse. « Leur stratégie, c’est d’assécher l’Unita, mais le peuple nous protège », dit l’opposant, qui espère un meilleur score que les 18 % obtenus lors des dernières élections, en 2012.
Dans le contexte de récession provoquée par la chute des prix du pétrole, Isaias Samakuva, qui tient lundi son dernier meeting à Luanda, prône une politique de réforme sociale, l’instauration d’un salaire minimum et une inévitable diversification économique.
Quel bilan faites-vous des trente-huit ans de présidence de José Eduardo dos Santos ?
Isaias Samakuva Ces derniers mois précédant l’élection, le gouvernement a fait des efforts pour maîtriser la hausse des prix et distribuer de l’électricité dans des villes et quartiers qui en étaient privés, il a inauguré des routes et des ponts. Une manière de démontrer qu’ils ont fait quelque chose pour le pays ou plutôt de masquer ce qu’ils n’ont pas fait durant trente-huit ans.
Car en réalité, durant tout ce temps, le président et son parti, le MPLA, ont simplement cherché à se maintenir au pouvoir pour préserver leurs intérêts. Ils ont dépensé des milliards de dollars non pas pour améliorer la vie des gens mais pour servir leurs intérêts personnels d’abord. Aujourd’hui, tout reste à faire en Angola. Les infrastructures, de mauvaise qualité, sont éphémères et se détériorent très rapidement. Car c’est du faux. La grande majorité de la population se trouve dans la misère et c’est pour eux que nous nous battons aujourd’hui.
En tant que président de l’Unita, parti pro-occidental et capitaliste, vos discours de campagne prennent des accents socialistes pour fustiger le MPLA, d’inspiration marxiste-léniniste…
L’idéologie du MPLA, c’est du passé. Leurs discours, leurs propagandes, font toujours un peu référence au socialisme, pour la forme. Mais en pratique, c’est un capitalisme ultra-sauvage qui dicte sa loi. Seuls les membres de l’élite du parti, dont le président et sa famille, s’enrichissent. Ils ignorent et méprisent ce qu’ils appellent « le peuple ». Ils sont dans la propagande et mobilisent des moyens d’état considérables pour leur campagne.
José Eduardo dos Santos a plus été président de son parti que du pays. Nous, nous parlons de choses concrètes qui affectent la vie des gens : le chômage, l’absence des services de l’Etat, les défaillances du système éducatif, le manque d’accès à l’eau et à l’électricité, les problèmes de logement… Et nous proposons des solutions, comme l’instauration d’un salaire minimum de 500 dollars [environ 425 euros]. Ce qui est possible. Selon nos calculs, une journée de production de pétrole suffit, même dans le contexte actuel.
Des militants de l’Unita, à Luanda, la capitale angolaise, en 2012. / AFP
Avec 1,3 % de croissance en 2017, selon les prédictions du FMI, une dette publique de plus de 70 % du PIB et une inflation de 45 %, l’économie angolaise, qui tire presque l’intégralité de ses revenus du pétrole, subit la volatilité des cours du brut et connaît sa pire situation depuis la fin de la guerre en 2002. Où trouverez-vous les financements pour réaliser vos promesses de campagne ?
Il y a de l’argent en Angola, et de nombreuses ressources naturelles inexploitées. Le MPLA n’a pas su diversifier l’économie. Pourtant, la baisse du cours du brut était prévisible, et l’économie de l’Angola ne devrait plus dépendre uniquement du pétrole. Il est urgent de développer les secteurs agricoles et miniers. Car l’Angola a de la terre fertile mais aussi de l’or, du cuivre, du phosphate, de la bauxite, du nickel, du fer. Nous adopterons une nouvelle politique en matière d’extraction minière et développerons de véritables industries de transformation locale, ce qui créera de la richesse et de l’emploi. Enfin, l’Angola doit améliorer son climat des affaires pour attirer des investisseurs frileux, car les démarches administratives sont trop lourdes et la corruption reste la règle.
L’Unita a été défaite par les armes durant la guerre et dans les urnes lors des élections générales de 1992 et 2012. Que répondez-vous à ceux qui vous considèrent comme un éternel « parti de perdants » ?
L’Unita a été l’instigateur de la démocratie en Angola. On a commencé comme un petit mouvement de lutte contre le colon portugais, animés par la volonté de faire de l’Angola une démocratie et d’instaurer une économie de marché. On a ensuite affronté le MPLA, favorable à une dictature prolétarienne où l’économie devait être centralisée. Ce qui a donné lieu à un conflit armé, et le MPLA a accepté l’instauration du multipartisme [en 1991] de même qu’une économie de marché. On a été vaincus, mais nos idées ont triomphé. C’est ce qui compte.
Aujourd’hui, on trouve toujours des discours de Jonas Savimbi sur les marchés et je croise souvent des jeunes vêtus de tee-shirts à son effigie, bien que le MPLA ait tout fait pour écraser le mythe. Durant cette campagne, je sillonne tout l’Angola et je peux vous assurer que nous sommes populaires et pas seulement dans nos fiefs. Notre popularité a grandi du fait que le pouvoir a déçu, a privilégié une petite bourgeoisie et s’est montré incapable de développer le pays. Nous sommes en mesure de l’emporter si les élections sont libres.
Redoutez-vous des irrégularités ?
Nous constatons de nombreux dysfonctionnements : beaucoup de doublons dans le fichier électoral, des délocalisations d’électeurs inscrits dans des bureaux de vote à plusieurs dizaines voire centaines de kilomètres de chez eux.
Par ailleurs, plus de 85 000 personnes n’ont toujours pas reçu leur carte d’électeur. Il y a eu près de 37 % d’abstention forcée en 2012 et je crains que cela se reproduise. Le contexte n’est, pour l’instant, pas favorable à la tenue d’élections libres et transparentes. On a alerté la Commission nationale électorale pour les mettre en garde.
Nous exigeons que ces irrégularités soient corrigées avant le 23 août. Et cette fois, [contrairement à 2012] nous dépêcherons un représentant de notre parti dans chaque bureau de vote, par mesure de sécurité.
Vous vous êtes tardivement dits disposés à former une alliance après ces élections, avec d’autres partis de l’opposition. Malgré la popularité que vous décrivez, le premier parti de l’opposition qu’est l’Unita n’est-il pas assez fort pour gouverner seul ?
Nous avons travaillé à la création d’une plateforme réunissant d’autres partis de l’opposition avec qui nous collaborons déjà au Parlement pour faire bloc contre le MPLA. Chacun devant aller seul aux élections, nous verrons par la suite. En fonction des résultats, nous discuterons. Au Portugal, les partis de gauche l’ont fait et sont parvenus à pousser le gouvernement à la démission [en novembre 2015]. L’essentiel pour moi, c’est de déloger le MPLA du pouvoir. S’il faut faire une alliance, nous le ferons.