« Lou et l’île aux sirènes » : plongée psychédélique dans les rêves adolescents
« Lou et l’île aux sirènes » : plongée psychédélique dans les rêves adolescents
Par Mathieu Macheret
Le cinéaste Masaaki Yuasa entraîne le spectateur dans un carnaval de formes et de couleurs.
Le distributeur Eurozoom, spécialisé dans l’animation japonaise, présente avec Lou et l’île aux sirènes, grand lauréat du Festival d’Annecy 2017, le travail unique d’un petit génie du genre, Masaaki Yuasa. Ce cinéaste d’animation de 52 ans est l’inventeur d’un style hors du commun, pétri d’expérimentations visuelles, dont la labilité graphique et la dynamique survoltée n’appartiennent qu’à lui.
Il doit l’essentiel de sa réputation à l’explosif Mind Game (2004, sorti directement en DVD), un premier long-métrage mutant et composite, sous forme de délire « méta » sur les puissances de l’animation. Il a réalisé de remarquables séries télévisées, comme The Tatami Galaxy (2010), impressionnant kaléidoscope d’ornementations, ou l’étonnant Ping-pong (2014), qui parvenait à dramatiser et rendre visuellement passionnantes des compétitions de tennis de table.
Son style psychédélique et emporté, pour jubilatoire qu’il soit, n’était pas des plus faciles d’accès. Lou et l’île aux sirènes apparaît, à ce titre, comme une tentative de conquérir un public plus large et de « vulgariser », en quelque sorte, l’imagination débordante de Yuasa. Le récit, d’essence délibérément juvénile, s’ancre dans un petit port de pêche où Kai, collégien taciturne, rumine la séparation de ses parents et s’absorbe en solitaire dans des compositions musicales. Deux camarades de classe le convainquent de former un groupe et d’aller répéter sur une île abandonnée, cachée derrière une falaise et interdite d’accès.
Là-bas, en pleine répétition, ils rencontrent Lou, une sirène enfantine attirée par leurs morceaux et qui possède d’étranges pouvoirs, comme celui de faire danser les humains. Kai s’épanouit au contact de la petite créature, jusqu’à ce que les adultes, craintifs et superstitieux, se piquent de la capturer. Ce grave affront à la nature est sanctionné par une montée immédiate des eaux, susceptible de ravager le hameau.
Déchaînement plastique
Visant un public jeune, Lou et l’île aux sirènes constitue une entrée en douceur dans l’univers de Yuasa. Le début du film ne laisse d’ailleurs rien présager de l’emballement figuratif dans lequel il va progressivement basculer, et ne se distingue en rien du tout-venant des chroniques adolescentes, entre son héros mal dans sa peau, sa fable initiatique de rigueur et son arrière-fond de musique pop édulcorée. Une impression de déjà-vu derrière laquelle se trouve pourtant une riche trame de références et d’influences croisées. A commencer par celle du maître Hayao Miyazaki et de son célèbre Ponyo sur la falaise (2008), qui relatait déjà la rencontre entre un petit garçon et une créature des mers à la morphologie instable, à mi-chemin entre l’enfant et le poisson. De même, le thème des jeunes gens qui se sentent à l’étroit dans l’une de ces petites villes déclinantes évoque le récent Your Name (2016), du prodige Makoto Shinkai, grand peintre des affects adolescents.
Comme ses illustres modèles, le film organise la rencontre entre deux mondes, celui des humains et celui d’une nature foisonnante aux reflets fantastiques, rencontre qui perturbe et estompe momentanément les repères de la réalité courante. Sa réussite tient moins à son scénario, somme toute balisé, qu’au déchaînement plastique qu’il suscite, entraînant le spectateur dans un véritable carnaval de formes et de couleurs vives en perpétuelles métamorphoses.
L’élément aqueux et sa faune protéiforme offrent à Yuasa un terrain de jeu parfaitement adapté au déploiement de son inventivité. Celle-ci mise moins sur la précision du dessin, très simplifié, que sur l’extrême malléabilité des lignes, qui autorise toutes les déformations, toutes les distorsions, tous les mélanges possibles (les fantasques poissons-chiens). Les objets, les corps, les décors ne sont pour lui qu’une grande matière plasmique, modelable à l’infini, dans les moindres détails de laquelle le point de vue glisse selon des axes délirants qui renversent toutes les perspectives.
Le film prend toute son ampleur lors d’une scène centrale, celle de la montée des eaux et de l’inondation du village. Yuasa n’orchestre pas un affrontement trop prévisible entre habitants et créatures marines, mais une fusion joyeuse entre la réalité et l’imaginaire. La nature aquatique se rappelle alors à une humanité arrogante en imbibant son habitat, en fluidifiant ses contours rigides, en recolorant sa réalité.
Ainsi, le film n’est jamais plus emballant que lorsqu’il oublie intrigues et sous-intrigues (trop emberlificotées) pour décrire le déferlement et la prolifération des entités marines, et surtout la façon dont elles submergent le visible, modifient les perceptions humaines. Car, après tout, les films de Masaaki Yuasa ne sont qu’affaire de perception : le regard n’y est jamais qu’une aventure psychotrope vouée à redéfinir les contours de la réalité.
Lou et l'île aux sirènes - Bande annonce VF - Au cinéma le 30 août
Durée : 01:09
Film d’animation japonais de Masaaki Yuasa (1 h 52). Sur le Web : www.facebook.com/eurozoom.distributeur et www.eurozoomcine.com