Emmanuel Macron, à Paris, le 26 septembre. / POOL / REUTERS

L’Europe ne se résume pas au « moteur franco-allemand ». Et pour la réformer, il ne suffit pas de le réactiver : tous les autres Etats membres, même les plus petits (Malte, Luxembourg), même les plus à l’est (la Roumanie, la Bulgarie, la Pologne) doivent accepter de prendre le train en marche. Car leurs voix comptent aussi, même si ce n’est pas toujours dans les mêmes proportions.

A Bruxelles, ces affirmations sonnent comme des évidences, mais pas dans l’Hexagone où les présidents français ont souvent donné l’impression de ne prendre que l’axe Paris-Berlin en considération. Symptomatique d’un grand pays « fondateur » à la profonde culture centralisatrice ? Peut-être. En surinvestissant d’emblée dans sa relation avec Angela Merkel, Emmanuel Macron a semblé vouloir se placer sur les traces de ses prédécesseurs.

Mardi 26 septembre, à la Sorbonne, le chef de l’Etat a changé de ton, et prononcé un discours nettement plus « inclusif », comme on dit à Bruxelles, que ses précédentes allocutions sur l’Europe. « Cette ambition [réformatrice], nous la partageons aussi avec l’Italie, a assuré M. Macron à la toute fin de son allocution, évoquant le sommet franco-italien organisé mercredi 27 septembre, à Lyon. Mais c’est avec l’Espagne, le Portugal, la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg et tant d’autres partenaires que nous la partageons. J’ai rencontré 22 de mes homologues depuis ces quelques mois, je veux travailler avec chacun d’entre eux, avec humilité mais détermination. »

Solidarité « organisée et concertée »

M. Macron a soigneusement évité de montrer du doigt certaines capitales : il n’a pas réitéré ses attaques contre la Pologne, alors que fin août, il avait créé une petite tempête diplomatique en lui reprochant brutalement de refuser une révision de la directive sur le travail détaché. Il a certes évoqué l’« Etat de droit » et salué le travail de Frans Timmermans, le premier vice-président de la Commission, qui s’emploie à le faire respecter, mais sans nommément désigner le gouvernement ultraconservateur de Varsovie, dont les réformes programmées de la justice inquiètent pourtant profondément à Bruxelles.

De la même manière, il n’a qu’effleuré les divisions Est-Ouest au sujet de la migration, n’a décoché aucune flèche contre la Hongrie, la Slovaquie ou la Pologne pour avoir rechigné à prendre leur part de réfugiés… La solidarité dont ces pays devraient faire davantage preuve à l’avenir ? Il faudrait qu’elle soit « véritable », mais aussi « choisie, organisée et concertée ». Absolument pas imposée à des gouvernements qui ont très mal vécu le dispositif des « quotas » de réfugiés décidés en 2015.

Le président français a même assuré soutenir « le choix du président Juncker de mettre fin partout en Europe au double standard alimentaire », soulignant le cas que Paris fait des préoccupations des pays « de l’élargissement » de 2004 à 2007. La Commission a récemment pris position contre les pratiques industrielles qui consisteraient à vendre à l’Est, sous un packaging pourtant identique, du chocolat ou du poisson pané constitués d’ingrédients de moindre qualité qu’à l’Ouest.

Pourquoi tous ces gages ? Pourquoi affirmer avec tant de conviction que l’« unité européenne de la réconciliation franco-allemande à la réunification entre l’Est et l’Ouest, c’est notre plus belle réussite et notre atout le plus précieux » ? Probablement par conviction. Sûrement aussi par tactique : M. Macron n’a pas du tout renoncé à son « Europe à plusieurs vitesses ».

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Mardi, il l’a totalement assumée, inscrivant son action prioritairement dans le cadre de la zone euro. Après un bravache : « Je n’ai pas la zone euro honteuse », M. Macron a enchaîné : « L’Europe des Vingt-Huit ne peut fonctionner comme l’Europe des Six et notre projet, l’avenir de nos peuples ne peut consister à rechercher le plus grand dénominateur commun. C’est en articulant constamment l’ambition motrice de quelques-uns et le respect du rythme de chacun que nous créerons le désir d’avancer et que l’Europe progressera au bénéfice de tous. »

Or, si le chef de l’Etat veut imposer sans trop de heurts cette vision d’une Europe des « avant-gardes », particulièrement controversée à l’Est, il n’a aucun intérêt à aviver les divisions existantes.