Nasser Al-Khelaïfi et BeIN Sports visés par la justice suisse
Nasser Al-Khelaïfi et BeIN Sports visés par la justice suisse
Par Rémi Dupré
Une procédure pénale a été ouverte, le 20 mars, contre le président du PSG dans le cadre de l’attribution des droits télévisés pour les Coupes du monde 2026 et 2030.
En réussite sur le plan sportif avec le Paris-Saint-Germain (PSG), actuellement en tête du championnat de France de football (Ligue 1), le Qatari Nasser Al-Khelaïfi, 43 ans, va devoir également batailler sur le terrain judiciaire.
Jeudi 12 octobre, le président du club de la capitale a appris qu’il faisait l’objet d’une procédure pénale ouverte le 20 mars par le ministère public de la Confédération helvétique (MPC), en tant que directeur du groupe BeIN Media, auquel appartient la chaîne BeIN Sports, lancée en France en 2012.
Devant le siège de BeIN Sports lors d’une perquisition à Boulogne-Billancourt, le 12 octobre. / CHRISTOPHE SIMON / AFP
Deux magistrats français du parquet national financier (PNF) assistés d’enquêteurs de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) ont procédé jeudi, en étroite coordination avec le MPC et sous l’égide d’Eurojust, l’unité de coopération judiciaire de l’Union européenne (UE), à une perquisition des bureaux parisiens de BeIN Sports.
« Avantages indus »
Soupçonné de « corruption privée active », Nasser Al-Khelaïfi aurait offert des « avantages indus en lien avec l’octroi de droits média dans certains pays en ce qui concerne les Coupes du monde de 2026 et 2030 » au Français Jérôme Valcke, 57 ans, ex-secrétaire général de la Fédération internationale de football (FIFA). Ce dernier avait été démis de ses fonctions en septembre 2015 après des accusations de malversations portées contre lui dans le cadre de la billetterie du Mondial brésilien de 2014.
Jérôme Valcke, qui faisait déjà l’objet d’une procédure pénale ouverte par le parquet suisse en 2016 pour « gestion déloyale et d’autres délits », est lui aussi visé par une enquête du MPC. L’ex-bras droit de l’ancien patron de la FIFA, Sepp Blatter, est « soupçonné d’avoir accepté des avantages indus en lien avec l’octroi de droits média dans certains pays de la part d’un homme d’affaires dans le domaine des droits sportifs en ce qui concerne les Coupes du monde de football de la FIFA de 2018 [en Russie], 2022 [au Qatar], 2026 et 2030 ».
M. Valcke a été interpellé à Genève, jeudi matin, au lendemain de son audition devant le Tribunal arbitral du sport (TAS) de Lausanne, qu’il avait saisi pour faire annuler sa suspension de dix ans prononcée, en 2016, par les instances disciplinaires de la FIFA. A l’issue de son audition par les autorités helvétiques, il a quitté le siège du MPC, à Berne, pour rallier Barcelone, où il est domicilié.
En pointe des négociations
« Il s’agit d’une nouvelle plainte de la FIFA et il n’y a aucune réalité dans cette plainte, assure M. Valcke au Monde. Il n’y a jamais eu aucun avantage donné par Nasser Al-Khelaïfi, que je souhaite dédouaner, pour l’octroi de quelconques droits télévisés. Ce n’était pas dans mon pouvoir de décider, ce n’est d’ailleurs pas moi qui ai négocié. Et tout accord signé a été validé par le comité exécutif, la commission des finances, les organes de la FIFA. »
En tant qu’ancien directeur marketing (2003-2006) de la FIFA, Jérôme Valcke était pourtant en pointe sur les négociations des droits média.
De son côté, la chaîne BeIN Sports « réfute toutes les accusations portées par le MPC ». La procédure pénale ouverte contre MM. Al-Khelaïfi et Valcke concerne un accord conclu entre la FIFA et BeIN Media qui sécurisait les droits média des Mondiaux 2026 et 2030 – dont l’organisation n’a pas été encore attribuée – dans vingt-quatre pays du Moyen-Orient, dont le Qatar et l’Arabie saoudite, et d’Afrique du Nord. Ledit accord n’a jamais été officiellement annoncé par la FIFA.
En janvier 2011, cette dernière avait dévoilé un accord avec Nasser Al-Khelaïfi, homme de confiance de l’actuel émir du Qatar, Tamim Al-Thani, et alors directeur général de la chaîne Al-Jazira Sports, qui concernait l’octroi des droits des Mondiaux 2018 et 2022 pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. Ce pacte avait été scellé un mois après le vote controversé du 2 décembre 2010, qui attribuait l’organisation des deux prochains tournois planétaires – respectivement à la Russie et au Qatar.
Calendrier du Mondial 2022
L’enquête du MPC renvoie aux liens entre Jérôme Valcke et le Qatar. Les détracteurs du Français l’accusent d’avoir décidé d’attribuer en même temps les Mondiaux 2018 et 2022 afin de rassurer les partenaires économiques de la FIFA, et, ainsi, de favoriser une hausse de la valeur des contrats.
Par ailleurs, l’ex-secrétaire général a joué un rôle majeur dans l’instauration du calendrier du Mondial qatari 2022 – décalé en hiver pour des raisons climatiques et dont la finale est programmée le 18 décembre, jour de la fête nationale qatarie.
Dans les documents déposés devant le TAS, auxquels Le Monde a eu accès, il apparaît également que le fils de Jérôme Valcke a été salarié du PSG, en tant que « chef de projet marketing », de janvier à juillet 2013.
Connu pour avoir négocié avec le Qatar les droits télévisés du championnat espagnol lorsqu’il possédait la société SportUnited, Jérôme Valcke est aussi très proche de l’avocate Sophie Jordan, qui a été sa collaboratrice durant plusieurs années à Canal+ et Sport+.
Experte en acquisition des droits média, Mme Jordan est actuellement la directrice générale adjointe de… BeIN Sports et siège dans les conseils d’administration de Qatar Sports Investments (QSI) – société propriétaire du PSG depuis 2011 – et du club parisien. Depuis plus d’une décennie, la juriste est l’une des principales conseillères de Nasser Al-Khelaïfi.
Fair-play financier
Quant au PSG, il fait actuellement l’objet d’une enquête de l’Instance de contrôle financier des clubs (ICFC) dans le cadre du fair-play financier, mécanisme introduit en 2011 par l’Union européenne de football (UEFA) et en vertu duquel les clubs ne doivent pas dépenser plus qu’ils ne gagnent, sous peine de sanctions. Le 5 octobre, les dirigeants parisiens ont été auditionnés à Lausanne, au siège de l’UEFA.
Les enquêteurs de l’ICFC se penchent actuellement sur les contours du transfert record de l’attaquant brésilien Neymar – sa clause libératoire auprès du FC Barcelone, où il évoluait précédemment, a été acquittée en août par le PSG contre 222 millions d’euros –, ainsi que sur le prêt (145 millions d’euros + 35 millions de bonus) du prodige français Kylian Mbappé au club parisien par l’AS Monaco.