Travailleurs détachés : l’Europe sociale renforcée
Travailleurs détachés : l’Europe sociale renforcée
Editorial. Le durcissement des règles de la directive sur le travail détaché est un succès pour Emmanuel Macron, qui voulait démontrer que l’Europe est aussi capable de protéger.
Editorial du « Monde ». Et si le volontarisme en politique finissait par payer ? Le compromis sur la réforme de la directive de 1996 sur le travail détaché auquel sont parvenus, lundi 23 octobre, les ministres du travail de l’Union européenne (UE) constitue un succès pour Emmanuel Macron. Pendant la présidentielle, le chef de l’Etat avait fait de cette réforme un enjeu politique décisif pour démontrer que l’Europe, accusée par les extrêmes de favoriser le dumping social, pouvait aussi être capable de protéger.
Grâce à une concession majeure sur le secteur routier, qui continuera à fonctionner sous le régime de l’ancienne directive, la France a réussi à emporter l’adhésion d’une très large majorité de pays pour durcir les règles actuelles.
A l’origine, le détachement autorisait un salarié d’un des Etats membres à travailler de façon temporaire dans un autre pays de l’UE, tout en continuant à relever du contrat de travail et de la couverture sociale de son pays d’origine. Si la directive garantit le paiement du salaire légal local, elle n’imposait ni durée maximum ni paiement des primes éventuellement prévues dans les accords collectifs.
L’élargissement de l’UE en 2004 aux pays de l’Est, aux salaires plus bas, a contribué à dénaturer l’objectif initial du dispositif, qui visait à simplement faciliter la circulation des travailleurs. Dans le bâtiment, l’agriculture ou les services de santé, l’application de la directive a conduit à des distorsions de concurrence. La Commission a elle-même reconnu que le dispositif pouvait permettre à des travailleurs détachés de gagner jusqu’à 50 % de moins que les salariés du pays d’accueil.
Assouplissement au cas par cas
Le texte obtenu reste un compromis, avec ses concessions, ses ambiguïtés et ses délais d’application à rallonge. Ainsi, s’il était adopté par l’UE d’ici à la fin de l’année, la réforme n’entrerait en application pas avant 2022, c’est-à-dire à la fin du mandat de M. Macron.
Toutefois, la France a obtenu des avancées majeures comme la limitation à 12 mois du détachement d’un salarié. Les sceptiques souligneront que la disposition tient du symbole : la durée moyenne d’un contrat de détachement est actuellement d’un peu plus de trois mois. Par ailleurs, les pays de l’Est ont obtenu un assouplissement au cas par cas, avec la possibilité pour les entreprises de demander une extension du contrat de six mois supplémentaires.
Mais la réforme consacre le principe d’un « salaire égal, à travail égal, sur un même lieu de travail ». Désormais, les règles en vigueur dans le pays d’accueil, qu’il s’agisse de primes de pénibilité, d’ancienneté ou simplement d’un treizième mois, s’appliqueront à tous, quel que soit le pays de provenance. En échange de ces avancées, la France a dû lâcher du lest sur le transport routier. Les pays de l’Est, mais aussi l’Espagne et le Portugal ont obtenu que ce secteur soit exempté en attendant l’adoption d’une directive spécifique au transport, dont l’élaboration prendra, là encore, plusieurs années.
Quelles que soient les insuffisances du compromis trouvé, M. Macron passe avec succès sa première épreuve du feu européenne. La concertation qu’il a menée ces derniers mois a permis de rallier des pays, qui n’étaient pas forcément prêts à bouger sur le sujet comme la Roumanie, la Bulgarie, évitant ainsi que l’opposition de la Pologne et de la Hongrie ne bloque toute avancée. C’est un coup porté à bon escient au populisme antieuropéen.