Dans cet article, il sera beaucoup question de lunes, et de chapeaux. Des chapeaux que l’on mange, tout d’abord : après avoir exprimé toutes ses craintes concernant le nouveau jeu de Nintendo à l’issue d’un essai frustrant en juin dernier, Pixels en est rendu à assaisonner son couvre-chef. Et reconnaître que oui, au temps pour nous, Super Mario Odyssey, qui sort officiellement vendredi 27 octobre sur Switch, est bien un bon jeu. Un grand jeu, même.

Ce chapeau-là, c’est celui que l’on tire, face à cette production à la fois familière et créative qui, avec l’aisance d’un vieux maître, réussit avec désinvolture à peu près tout ce qu’elle entreprend. Ses décors sont dépaysants, sa prise en main naturelle, sa construction astucieuse, ses animations craquantes, ses musiques obsédantes. Et par-dessus tout, son principe, vivifiant.

Ce sont-là les chapeaux que l’on jette – le cœur du jeu. Coiffé de Cappy, un haut-de-forme vivant capable de prendre possession de quiconque le porte, Mario déambule dans des niveaux loufoques en se transformant à tour de bras en poisson, fusée, T-rex, missile, tank ou encore nuage, pour ne citer que quelques-unes de la cinquantaine de métamorphoses à découvrir.

Super Mario Odyssey – Bande-annonce de lancement (Nintendo Switch)
Durée : 05:11

Plus qu’un simple déguisement d’apparat, elles engagent souvent un nouveau contrat avec la gravité. Et c’est là où ce Super Mario Odyssey convainc : dans sa capacité sans cesse renouvelée à inventer non seulement de nouveaux looks, mais aussi de nouvelles mobilités, des déplacements ventraux bondissants d’homme des neiges au surf aérien d’un poulpe en passant par les acrobaties murales d’un pivert au bec gymnaste.

Emerveillement permanent

Chaque monde est ainsi une invitation à revisiter les codes du jeu de plateforme, à travers un thème tantôt classique – la mer, les montagnes, le ciel – tantôt loufoque et décalé – mention spéciale au volcan de fruits et légumes. Dans sa première partie, celle qui consiste à collecter juste assez de lunes – le carburant du vaisseau de Mario – pour aller corriger l’infâme Bowser, Super Mario Odyssey remplit admirablement sa mission, plonger le joueur dans un état de découverte, de surprise et d’excitation permanente.

Image rare d’un navet fuyant une éruption volcanique de fruits et légumes. / Nintendo

On se souvient avoir empilé des champignons Goomba pour draguer une Goombette ; exploré tête en bas une pyramide aztèque inversée ; nagé dans des blocs d’eau glacée mouvants ; découvert des portes dérobées sur des mondes que l’on croyait oubliés ; frissonné lors d’un festival de jazz à la mise en scène inattendue ; éclaté de rire en incarnant un dino.

Il y a ces moments de pur émerveillement, quand un tuyau vert projette Mario dans une séquence 8-bits façon années 1980, fondues dans des mondes en 3D ; des bouffées de nostalgie, quand des clins d’œil à Donkey Kong ou de vieilles musiques de Super Mario Kart ou Super Mario 64 passent soudain leur bras autour des épaules du joueur ; ou tout simplement des extases béates, face à telle ou telle pure idée d’acrobatie spatiale. Quand ce n’est pas un monde entier qui, dans son concept même, revisite ce qu’il est possible de faire dans un Mario, à l’image de cette reprise audacieuse et déconcertante de l’urbanisme américain dans New Donk City.

Image rare du nouveau smartphone Samsung à écran très incurvé. Et en pierre. / Nintendo

Donner pareille importance à familiarité et innovation, voilà un équilibre aussi vital que difficile pour une série vieille de trente-six ans et qui a toujours fait du refus de toute cohérence son principal moteur créatif. Bref, on s’y amuse, on y rit, on y bondit, on s’y étonne, on s’y plaît.

Seconde partie plus fastidieuse

Dans ses meilleurs moments, Super Mario Odyssey séduit par son brio et fait fondre par ses références. Mais il devient, sinon moins bon, du moins moins merveilleux, à mesure qu’il finit par ne plus ressembler qu’à lui-même. La seconde partie, celle qui s’ouvre après la fin du scénario du jeu, est à la fois la plus longue et la plus fastidieuse.

C’est celle durant laquelle le jeu cesse d’avoir de nouveaux mondes à offrir – ou si peu –, mais abreuve le joueur d’autres défis, de nouvelles lunes à collecter, comme pour l’empêcher de partir, mais en recyclant ad nauseam des challenges déjà utilisés avant – traque aux moutons, course au lapin, changement de costume sur demande… Comme s’il ne s’agissait plus que de faire nombre, à défaut de faire rire.

Image rare d’une éclipse partielle de chapeau spatial par des lunes parfum kiwi. / Nintendo

C’est que des chapeaux, il y en a beaucoup, dans Super Mario Odyssey. Mais des lunes, lointaines descendantes des étoiles de Super Mario 64 et Super Mario Galaxy, ou des soleils de Super Mario Sunshine, il y en a encore plus. Une centaine si l’on veut voir la fin du scénario, le double si l’on souhaite débloquer un premier mini-monde supplémentaire, le quintuple pour une nouvelle escale, et aux alentours de neuf cents si l’on veut épuiser le jeu de tous ses secrets – oui, neuf cents, à comparer aux 120 étoiles de Super Mario 64.

Les 900 travaux de Mario

Il y en a partout. Des lunes cachées sous un pont. Sur le chapeau d’un dinosaure. Sous une butte de terre. Entre deux anémones. Qu’on voit si vous portez le bon costume. Réussissez un puzzle. Répondez correctement à un quiz. Récupérez cinq mini-lunes. Ou franchissez un parcours d’obstacle. Certains boss en donnent même trois ; d’autres apparaissent en cours d’aventure ; il est même possible d’en acheter dans les boutiques avec des pièces d’or, à l’infini. Des lunes beaucoup, des lunes partout, et cette impression curieuse et aliénante de devenir au bout de quelques dizaines d’heures l’esclave servile d’un jeu trop riche d’objets collectionnables sans enjeux.

Il y a un point de bascule, au cours de l’aventure, durant lequel l’intérêt du joueur verse imperceptiblement de ces précieux chapeaux – ceux que l’on mange, que l’on tire, que l’on envoie – à ces innombrables lunes – celles que l’on gagne, que l’on traque, que l’on collecte. Celui où l’on passe de l’aventure à escales à l’exploration méticuleuse, de la découverte de nouveaux mondes à l’exploitation de chaque parcelle, de l’ivresse de l’égarement à la rentabilisation de chaque partie, bref, de l’Odyssée d’Homère aux Douze Travaux d’Hercule.

Image rare d’un... oh et puis zut, vous avez compris. / Nintendo

Ces lunes rappellent l’âge de la Nintendo 64, quand Super Mario 64 et Banjo-Kazooie ont démocratisé les épreuves de collecte à gogo ; ou parfois les jeux en monde ouvert d’Ubisoft, cartes aux trésors saturées d’indice. Une manière un peu artificielle de prolonger le voyage sans vraiment renouveler l’intérêt – d’autant plus perceptible dans les contraintes de temps d’un test, qui oblige à collectionner les lunes à un rythme stakhanoviste.

Envie de rab

Et l’on se surprend, tel un touriste lors de sa troisième semaine de vacances, à errer sur les plages le nez rivé à ses pieds à la recherche d’un énième coquillage à ramener aux copains, sans plus trop d’entrain ni d’intérêt pour les paysages alentours, qui vingt jours plus tôt l’épataient.

Pourtant, ces croissants d’astres à trouver sont aussi l’indice d’autre chose : de l’ingéniosité redoutable de la quinzaine de mondes du jeu, de leur agencement habile et retors en un condensé de secrets, et dont on ne mesure guère la densité qu’au bout du troisième passage. Car si ces niveaux sont relativement vastes, ils conservent de la tradition de la série la philosophie de jardins miniatures, compacts, denses, fignolés avec précision et à apprécier dans le détail. On jalouse désormais celles et ceux qui s’apprêtent seulement à découvrir les dernières aventures de Mario, l’œil encore neuf, le chapeau prêt à être tiré. Et l’on rêve de possibles mondes supplémentaires en téléchargement, pour ressusciter l’émerveillement.

Image rare de Mario demandant à un analyste financier s’il pense encore vraiment que Nintendo va mourir. / Nintendo

En bref

On a aimé

  • Globalement génial
  • A la fois très accessible et bourré de challenges
  • Le dépaysement absolu d’un monde à l’autre
  • Les clins d’œil très malins aux anciens jeux
  • Enfin le successeur spirituel de Super Mario 64

On n’a pas aimé

  • L’absence de « hub » central entre les niveaux
  • Quelques soucis de caméra parfois
  • Trop de recyclage d’épreuves
  • Trop de lunes tout court

C’est pour vous si

  • Vous cherchez l’équivalent d’un Pixar en jeu vidéo
  • Vous cherchez un second chef-d’œuvre pour la Switch
  • Vous avez encore la Nintendo 64 en carton offerte avec Ultra Player

Ce n’est pas pour vous si

  • L’univers Nintendo vous laisse complètement froid

La note de Pixels

116 étoiles et 507 lunes/120 étoiles