Dopage chez les chiens de traîneau : en Alaska, un contrôle positif secoue le roi des mushers
Dopage chez les chiens de traîneau : en Alaska, un contrôle positif secoue le roi des mushers
Par Clément Guillou
Complot d’un rival ? Action des associations de défense des animaux ? Accusé d’avoir administré du Tramadol à ses huskys lors de la plus grande course de chiens de traîneau du monde, Dallas Seavey crie au sabotage.
Dallas Seavey Statement
Durée : 17:47
Tee-shirt noir, casquette noire et regard noir, Dallas Seavey est assis devant un mur en bois. Il y a lui et son ombre, face à une caméra fixe et une lampe. La vidéo dure dix-huit minutes, elle est publiée depuis lundi 23 octobre au soir sur son compte YouTube et remue le milieu des courses de chiens de traîneaux, pas forcément preneur de l’attention médiatique du moment.
Dallas Seavey, le plus grand musher du moment, est accusé d’avoir dopé ses chiens lors de l’Iditarod, un marathon d’environ 1 000 miles (environ 1 600 kilomètres) à travers l’Alaska, la plus grande course de chiens de traîneaux du monde. Créé en 1973 pour honorer ce moyen de transport d’antan, l’Iditarod est une folie pure, une odyssée à travers la toundra et les montagnes, dans le blizzard qui ferme l’horizon et glace la peau. Ce sont les chiens qui souffrent le plus.
Dallas Seavey leur a-t-il donné du Tramadol, un puissant antalgique retrouvé dans les urines de quatre d’entre eux ? Cette année, cette célébrité locale a pris la deuxième place après trois victoires consécutives, en huit jours et six heures. Deux heures plus tôt est arrivé son père, Mitch Seavey, plus vieux vainqueur de l’histoire à 57 ans.
Dallas Seavey, lors de la cérémonie de départ de l’Iditarod 2017. / Michael Dinneen / AP
« C’est probablement un sabotage »
Dans sa vidéo de défense, diffusée dans la foulée de la révélation du contrôle positif, le fils musher dénonce « un cancer » qui gangrène l’Iditarod : « Il y a de la corruption dans cette course. » La mâchoire serrée, Seavey raconte ses échanges avec les organisateurs depuis six mois, sa certitude d’avoir été piégé à la fois par un ennemi anonyme et par l’Iditarod, qui n’aurait pas dû, selon lui, faire la publicité de ce contrôle. Parfois, il s’arrête pour souffler longuement et on entend des chiens aboyer.
« Il y a des centaines de façons de saboter un équipage, vous serez certains qu’un contrôle positif survienne et vous n’aurez aucune chance de vous faire attraper. (…) Il y a des mushers qui ont terminé près de moi dans cette course qui, je le pense, ont une dent contre moi. Ils ne m’aiment pas. Je ne rentrerai pas dans les détails, mais c’est probablement un sabotage. Si ce n’était pas un autre musher, et j’espère que ce n’est pas le cas, il y a bien d’autres personnes qui peuvent le faire. Notamment les opposants aux courses de chiens de traîneau. »
Dallas Seavey ne sera pas suspendu : le règlement de l’Iditarod 2017, qui a depuis été changé, mentionne que l’organisateur doit prouver que le produit a sciemment été donné aux chiens pour pouvoir suspendre le musher. Seavey gardera son palmarès et ses 59 637 dollars de gains.
Dallas Seavey n’est pas le premier sportif contrôlé positif à plaider le sabotage. Mais cette fois, son hypothèse peut s’entendre. Les chenils ne sont pas toujours surveillés pendant les périodes de repos des mushers aux points de passage. Et la nourriture pour les huskys est envoyée des semaines à l’avance à Anchorage, lieu de départ de la course, puis répartie dans les points de passage. L’organisation a promis de renforcer la surveillance mais elle a un coût.
Cette mauvaise publicité s’inscrit dans la mauvaise passe que traverse l’Iditarod, abandonnée par son principal sponsor (la banque Wells Fargo) et sous le feu des critiques des associations de défense des animaux. Cette année encore, cinq chiens ont succombé durant la course, portant le total à plus de 150 morts parmi les canidés en quarante-quatre ans, selon le décompte de l’organisation américaine PETA (Pour une éthique dans le traitement des animaux).
« Je suis sur que nous sortirons de cette tempête et que nous allons passer à autre chose. Mais pour le moment, nous avons un problème désagréable sur les bras, et il faut s’en occuper », dit le PDG de l’Iditarod Stan Hooley. Interrogé sur les accusations de sabotage, Hooley répond : « Est-ce possible ? Je suppose que oui. Est-ce probable ? Je ne le pense pas. »
Cody Strathe donne à manger à ses chiens, à un point de passage de l’Iditarod 2017. / ERIC ENGMAN / ASSOCIATED PRESS
Plusieurs adversaires du roi des mushers ont volé à son secours dans le New York Times. Pas son genre, dit-on. Et puis, du Tramadol ? Jeanne Olson, vétérinaire spécialiste des chiens de traîneau, en donne certes pour soulager les huskys, mais en course, souligne-t-elle à l’Associated Press, « le risque existe que cela les endorme ». Un risque rencontré aussi par les cyclistes, où le Tramadol s’est pourtant répandu à tel point que l’Union cycliste internationale a demandé (sans succès) son interdiction.
Dans le milieu, on montre plutôt du doigt les associations d’opposants, qui seraient soucieuses de salir une discipline à laquelle elles reprochent d’amoindrir durablement les chiens, quand elle ne les tue pas. Au lendemain de la révélation du contrôle positif, l’association PETA a publié un communiqué y voyant « une preuve supplémentaire que cette course doit s’arrêter ».
Dallas Seavey a retiré sa participation à l’édition 2018. Son père réserve sa décision. En remportant l’Iditarod 2017, Mitch Seavey a empoché 71 250 dollars.