« Paradise Papers » : vives réactions au Canada
« Paradise Papers » : vives réactions au Canada
Par Nicolas Bourcier (Envoyé spécial à Ottawa), Anne Pélouas (Montréal, correspondance)
Dans les médias mais aussi à la Chambre des communes d’Ottawa, les révélations ont déclenché des questions et des accusations d’une rare intensité.
Il a été la première cible et le premier à répondre. Il semble toutefois peu probable que Stephen Bronfman, le chef du financement du Parti libéral du Canada (PLC) – au pouvoir –, soit parvenu à éteindre le début d’incendie déclenché au Canada par les révélations, dimanche 5 novembre, des « Paradise Papers ». Dans les médias et jusque dans l’enceinte de la Chambre des communes d’Ottawa, où l’après-midi de lundi était consacré aux questions au gouvernement, les fuites massives de documents issus du cabinet d’avocats Appleby, spécialisé dans les activités offshore, ont déclenché un feu roulant inhabituel de questions et d’accusations d’une rare intensité.
Ami de longue date du premier ministre, Justin Trudeau, et personnage-clé de son ascension politique, M. Bronfman a été identifié par le Consortium international des journalistes d’enquête (ICIJ) et ses partenaires, dont fait partie Le Monde, en lien avec son rôle dans un trust de plus de 60 millions de dollars aux îles Caïmans. Dans un simple communiqué diffusé lundi matin, l’homme d’affaires s’est défini comme « un fier Canadien » qui « a toujours respecté la loi, y compris celle en matière fiscale ». Il nie avoir financé ou utilisé des trustsdéfinition dans des paradis fiscaux et ajoute avoir respecté les « exigences légales et fiscales ».
Dans un e-mail envoyé à Radio-Canada, Braeden Caley, porte-parole du Parti libéral, a tenté de minimiser le rôle du collecteur de fonds en assurant que M. Bronfman n’y jouait qu’un rôle de « bénévole ». Il a rappelé qu’il ne faisait qu’assister au conseil du parti sur des dossiers visant à bâtir des « bases solides de financement » sans participer aux « décisions politiques ».
Justin Trudeau mutique
Moins à l’aise qu’à son habitude, Justin Trudeau n’a pas dit un mot aux journalistes après la réunion de son cabinet qui s’est tenue en début de matinée. Un mutisme qu’on lui connaissait peu. Seule la ministre du revenu national, Diane Lebouthillier, a pris brièvement la parole. Elle a affirmé « très bien comprendre les préoccupations de la population ». Et d’ajouter : « Elle a raison d’être offusquée. »
Dans une salle pleine à craquer, la séance des questions orales au gouvernement fut quasi entièrement consacrée au cas Bronfman. Lisant par moments ses notes, debout dans le brouhaha des parlementaires, Justin Trudeau a répété à plusieurs reprises et avec les mêmes phrases que son gouvernement était « fermement engagé à combattre l’évasion fiscale et l’évitement fiscal », pour lesquels il « a investi des sommes historiques » durant les deux premières années de son gouvernement, soit près d’un milliard de dollars canadiens.
Il a rappelé que le travail accompli avait permis de récupérer 25 milliards de revenus non déclarés. Il a insisté, en boucle, après chaque question posée par l’opposition, que 628 enquêtes criminelles avaient été lancées, que 268 avaient donné lieu à des mandats de perquisition et que 78 s’étaient soldées par des condamnations. Pressé par le chef du Parti conservateur, Andrew Scheer, il a ajouté que l’Agence du revenu du Canada (ARC) allait se pencher sur les liens offshore entretenus par les entités canadiennes identifiées par les « Paradise Papers ».
« L’ARC prendra toutes les mesures appropriées et étudiera la situation des Canadiens et des compagnies, fondations, ou fiducies identifiées », a-t-il assuré, sans donner plus de précisions. Selon ICIJ, les documents du cabinet Appleby recensent au Canada 2 700 individus, 560 compagnies, 14 fiducies et 2 fondations.
Face à Justin Trudeau, Alain Rayes, député conservateur du Québec, est monté au créneau pour dénoncer « un scandale qui prouve toute l’hypocrisie des libéraux ». Avec eux, a renchéri le député conservateur John Brassard, « il y a deux poids, deux mesures, une règle pour les riches et une pour les classes moyennes » qui paient trop d’impôts.
« Ce gouvernement aura un examen de conscience à faire », a lancé, de son côté, le leader parlementaire du Nouveau Parti démocratique, Guy Caron. « Au bout du compte, on voit que ceux qui appuient fortement les libéraux sont ceux qui ne paient pas leur juste part », a-t-il ajouté. Dans la même veine, le député Pierre-Luc Dusseault a jugé que cette affaire était révélatrice d’un problème fondamental, celui posé par « des lois trop permissives qui favorisent une escroquerie légalisée ».
« Superman invisible »
Dans les couloirs du Parlement, les élus du bloc québécois ont tenté de jouer les prolongations. Pour le député Alexandre Boulerice, la seule option du gouvernement libéral, « s’il est sérieux », est d’inviter « tout le monde autour d’une table pour engager des réformes qui s’imposent ». Député indépendante, Martine Ouellet a, elle, demandé l’ouverture immédiate d’une enquête au sujet de Stephen Bronfman : « Il doit quitter son poste, c’est un préalable, ne serait-ce que pour que les gens retrouvent un peu de confiance en nos institutions. »
Le premier ministre a, lui, rapidement quitté les lieux, refusant de répondre à une poignée de journalistes qui l’attendaient devant sa limousine en l’interpellant sur une éventuelle démission de M. Bronfman. Une attitude que le journaliste parlementaire du Globe and Mail Daniel Leblanc a comparée, sur son compte Twitter, à celle d’un « Superman invisible ». Le jour de la fête d’Halloween, Justin Trudeau était venu à la séance des questions au gouvernement déguisé en Clark Kent, les cheveux lissés, lunettes noires cerclées et tee-shirt de Superman sous sa chemise.