Accord entre HSBC et la justice, une première dans le droit français
Accord entre HSBC et la justice, une première dans le droit français
Par Florian Reynaud (Propos recueillis par)
Pour l’avocat Stéphane Babonneau, l’arsenal juridique français n’est pas adapté pour inciter les sociétés accusées de corruption et de blanchiment à signer des accords financiers.
Le tribunal de grande instance de Paris a entériné pour la première fois, mardi 14 novembre, un accord entre le parquet national financier (PNF) et HSBC Private Bank, qui a payé 300 millions d’euros pour éviter des poursuites pour blanchiment de fraude fiscale. La société était accusée d’avoir aidé des contribuables à frauder le fisc, une fraude estimée à 1,6 milliard d’euros.
Cette procédure, inédite en droit français, est pour l’avocat pénaliste Stéphane Babonneau un « constat d’échec » de la justice française face aux affaires de corruption et de blanchiment de fraude fiscale.
Cet accord est-il une première en France ?
Stéphane Babonneau : C’est la première fois qu’est mis en œuvre le nouvel article 41-1-2 du code de procédure pénale, qui permet d’arriver à ce genre d’accord, qui est exceptionnel parce que HSBC paie 300 millions d’euros en reconnaissant une infraction mais sans être condamné, donc ça ne figure pas au bulletin no 1 du casier judiciaire de la société. C’est complètement extérieur et étranger à toute la culture judiciaire en France.
Vous dites qu’ils ne sont pas « condamnés » mais « sanctionnés ».
Ils ne sont pas déclarés pénalement responsables et il n’y a pas eu de condamnation. Ça n’est pas une reconnaissance de culpabilité, c’est toute l’ambiguïté. On paie 300 millions d’euros pour éviter un procès et on se réserve la possibilité de dire après qu’on n’a pas été condamné. Tout le monde s’est mis d’accord pour éviter une procédure longue, coûteuse et incertaine pour toutes les parties. Les dirigeants, eux, peuvent être poursuivis séparément.
En France, on ne négocie pas une peine. J’ai souvent des clients américains qui m’appellent et qui me disent « allez parler avec le procureur pour qu’on essaie de s’arranger », et je leur explique que ça ne se fait pas, alors que chez eux c’est tout l’inverse : le procureur est une partie comme une autre et on peut négocier la peine sous le contrôle du juge.
Quel est l’intérêt de cette procédure pour l’Etat ?
Depuis 2000, en France, on n’a pas eu une seule condamnation pour corruption d’une société. Ça montre bien qu’on n’arrivait pas à faire aboutir des procédures. C’est donc un constat d’échec de la justice ordinaire.
Ces enquêtes (blanchiment de fraude fiscale, corruption..) portent sur des délits très complexes. Ces infractions sont commises par des opérateurs très puissants qui ont les moyens de soutenir des batailles judiciaires très longues, dans des dossiers avec souvent des aspects internationaux, et tout cela fait que les moyens nécessaires pour poursuivre ce type d’enquête sont énormes. L’affaire des frégates de Taïwan et même l’affaire de Karachi, toutes ces affaires-là, c’est plus de dix ans de procédure. Et parfois vous n’aboutissez à rien du tout.
Et pour les entreprises ?
La peine maximale encourue par une personne morale pour blanchiment de fraude fiscale [ce dont HSBC Private Bak était accusée], c’est 1 875 000 euros. Le montant décidé dans l’accord signé avec le PNF est 150 fois supérieur.
Finalement, ce n’est pas tant la somme d’argent en jeu qui est le problème, c’est la condamnation. Une banque qui est condamnée pour fraude fiscale peut perdre ses agréments dans le monde entier ; une société qui est condamnée pour une infraction en matière de corruption, elle, peut être exclue des marchés publics dans le monde entier. Si HSBC avait été condamnée en France, elle aurait pu perdre sa licence bancaire dans d’autres pays.
Comment le montant de l’amende est-il calculé ? Y a-t-il des règles ?
Il y a une règle fixée par la loi, qui dit que l’amende doit être proportionnée au profit réalisé par la société, et elle est plafonnée à un maximum de 30 % du chiffre d’affaires. Ça peut être très élevé s’agissant de grandes entreprises.
Y a-t-il ces limites aux Etats-Unis ?
Dans notre modèle, c’était 150 fois plus intéressant de risquer la condamnation au plan purement financier que de signer. Aux Etats-Unis, les amendes prévues sont déjà très très élevées, donc vous avez une incitation à négocier plutôt que de risquer une amende plus élevée.
Est-ce que ça veut dire que les peines françaises ne sont pas adaptées à ce genre d’infractions ?
En effet, on a ce nouvel outil qui n’est pas couplé à des peines de base au pénal et qui en ferait une alternative vraiment intéressante. Les gens qui vont accepter sont ceux qui ont plus à perdre en étant condamnés, comme HSBC, et pour qui l’argent n’est pas le plus important. Par contre, ceux pour qui l’argent, c’est le plus important, on verra. Notre arsenal juridique n’est pas au niveau pour rendre ce type d’accord incontournable.
Tous ceux pour qui être condamné en France n’est pas rédhibitoire pour la poursuite des activités n’auront pas intérêt à signer. Aux Etats-Unis, si on prend ce type d’accord, c’est qu’on a autant peur de la condamnation financière pénale que des conséquences. En France, ce n’est pas l’amende qui fait peur.
Si dans les trois à quatre prochaines années personne ne signe de convention, c’est qu’effectivement les entreprises ont plus à gagner à faire traîner les procédures pendant des années.