Crise en Allemagne : « Un gouvernement de minorité serait politiquement risqué »
Crise en Allemagne : « Un gouvernement de minorité serait politiquement risqué »
Notre correspondant à Berlin a répondu à vos questions sur la tempête politique en Allemagne, après l’échec des négociations entre conservateurs, Verts et libéraux.
La chancelière allemande Angela Merkel quitte sa réunion avec le président Frank-Walter Steinmeier, après l’échec des négociations pour une coalition, le 20 novembre. / AXEL SCHMIDT / REUTERS
Dans la nuit du dimanche 19 au lundi 20 novembre, après plus d’un mois de négociations, les conservateurs d’Angela Merkel (CDU-CSU), les libéraux (FDP) et les écologistes n’ont pas réussi à former de coalition gouvernementale. Le pays n’a donc pas de majorité pour être gouverné, un scénario inédit depuis la fondation de la République fédérale d’Allemagne, en 1949. Après cet échec, la chancelière cherche une issue à la crise. Le correspondant du Monde à Berlin, Thomas Wieder, a décrypté la situation lors d’un tchat avec les internautes.
Grand Arbre : que prévoit exactement la Loi fondamentale en Allemagne ?
Thomas Wieder : c’est au président de la République de proposer au Bundestag le nom d’un chancelier, selon l’article 63 de la Constitution de 1949. Si celui-ci est élu à la majorité absolue des députés, il devient alors chancelier. C’est ce qui s’est toujours passé.
Si ce premier choix échoue, les membres du Bundestag ont quatorze jours pour se mettre d’accord sur un nom et voter pour cette personne, d’après la Constitution. Si celle-ci est élue à la majorité absolue, elle devient chancelier.
Mais si le candidat n’est élu qu’à la majorité relative, alors le président peut décider de nommer cette personne chancelière, en prenant le risque de mettre en place un gouvernement minoritaire, ou bien dissoudre le Bundestag. Dans ce cas, de nouvelles élections doivent être organisées dans les deux mois.
John : que propose le président Steinmeier ?
Frank-Walter Steinmeier a d’abord insisté sur le caractère totalement inédit de la situation. Il a ensuite demandé aux partis de prendre leurs responsabilités, c’est-à-dire de se tenir prêts à discuter en vue de gouverner. Il s’entretiendra dans les prochains jours avec leurs représentants. Il se fixe donc l’objectif de trouver un gouvernement.
M. Steinmeier n’a pas évoqué l’hypothèse de nouvelles élections, mais il sera peut-être contraint d’en convoquer s’il échoue.
LM : malgré le nouveau refus exprimé par Martin Schulz cet après-midi, est-il vraiment improbable que le Parti social-démocrate (SPD) rejoigne une nouvelle coalition ?
A ce stade, c’est compliqué. M. Schulz a tellement répété, depuis le soir des élections, son opposition à l’idée de former une nouvelle grande coalition avec les conservateurs, qu’il aurait beaucoup de mal à justifier un changement sans totalement se décrédibiliser. D’autant plus que sa déclaration d’aujourd’hui a été précédée d’une délibération de la direction du parti, qui a approuvé à l’unanimité cette position.
Mais le SPD est incontestablement sous pression : celle du président de la République, qui en est issu ; des conservateurs, parmi lesquels certains font du pied depuis ce matin aux sociaux-démocrates pour qu’ils reviennent au gouvernement ; et enfin, à l’intérieur du parti, où quelques-uns, pour l’instant isolés, ne sont pas absolument ravis du retour dans l’opposition.
MR : la perspective d’un gouvernement de minorité est-elle réaliste ?
Elle est constitutionnellement possible. L’hypothèse est envisagée à l’article 63 alinéa 4 de la Loi fondamentale. Mais elle serait à la fois historiquement inédite et politiquement risquée. Jamais une telle expérience n’a été tentée depuis la naissance de la République fédérale en 1949. Et un gouvernement minoritaire est par définition un gouvernement instable. Or, l’exigence de « stabilité » est particulièrement importante dans la culture politique allemande.
die Kneipe : peut-on imaginer un gouvernement CDU-CSU-Verts minoritaire ?
Ce n’est pas impossible. Arithmétiquement, il manquerait 42 voix à une telle alliance pour atteindre la majorité au Bundestag. Politiquement, cette combinaison ne déplairait pas forcément à Angela Merkel et à certains de ses proches, comme Peter Altmaier, son bras droit depuis des années. Actuellement au ministère des finances, celui-ci entretient de bonnes relations avec les realos du parti écologiste. Cette aile modérée des Verts, incarnée par des personnalités comme Cem Ozdemir et Katrin Göring-Eckardt, se serait très bien vue gouverner avec Mme Merkel. Ces deux derniers ont d’ailleurs rendu un hommage appuyé à la chancelière, cette nuit, en saluant ses efforts pour trouver un compromis.
Plus difficile serait en revanche la cohabitation avec la CSU bavaroise. Les pourparlers de ces dernières semaines l’ont d’ailleurs montré : entre les Verts et la CSU, les différends ont été nombreux, profonds (sur l’environnement et l’immigration essentiellement), et, au sein de la CSU, beaucoup ont clairement dit qu’ils ne voulaient pas gouverner avec les Verts.
Yann_FP : y a-t-il une stratégie derrière l’attitude des libéraux de Christian Lindner ?
Il y a en tout cas l’objectif de ne pas se retrouver dans la situation de 2009. A l’époque, le FDP avait obtenu un score excellent, un peu moins de 15 % des voix, et était entré au gouvernement aux côtés de la CDU-CSU de Mme Merkel. Quatre ans plus tard, il avait recueilli seulement 4,8 % des voix, soit moins des 5 % nécessaires pour être représenté au Bundestag, pour la première fois depuis la guerre. Ce fut un traumatisme pour un parti qui avait toujours servi de force d’appoint pour constituer des majorités et quasiment toujours représenté au gouvernement.
Christian Lindner, qui a pris la direction du parti après la débâcle de 2013, s’est juré de ne pas répéter les mêmes erreurs. D’où sa justification au moment de jeter l’éponge, un peu avant minuit dimanche soir : « Mieux vaut ne pas gouverner que mal gouverner. » C’est une référence directe à ces années noires, et une façon pour M. Lindner de prendre date pour l’avenir. A 38 ans, il peut avoir intérêt à attendre avant de s’embarquer dans un gouvernement potentiellement instable et piloté par une chancelière en fin de course.
Michael Axon : la chancelière Merkel a-t-elle encore une bonne popularité dans son pays, ou est-ce la tentative du mandat de trop ?
Ces dernières semaines, elle restait populaire et respectée. Mme Merkel se place au deuxième rang des personnalités les plus populaires du pays, derrière Wolfgang Schäuble, l’ex-ministre des finances élu fin octobre président du Bundestag, selon la dernière vague du baromètre politique de la ZDF, la deuxième chaîne de télévision publique fédérale.
Julien : quel impact cet échec pourrait-il avoir sur les positions (et le leadership) respectifs de l’Allemagne et de la France dans l’Union ?
Cela ne va pas faciliter les choses. L’Allemagne avait besoin d’une France plus forte, mais maintenant que Paris a repris de l’ascendant sur la scène européenne, il n’est pas dans son intérêt d’avoir un partenaire à moitié paralysé. Ces dernières semaines, à cause des élections législatives puis du début des pourparlers de coalition, Mme Merkel est restée totalement muette.
En Allemagne, beaucoup se sont agacés de cette attitude, s’impatientant de la mise en place d’un nouveau gouvernement pour que Berlin redevienne un interlocuteur actif pour Paris, et puisse enfin discuter avec Emmanuel Macron de ses idées sur l’avenir de l’Europe exposées fin septembre à la Sorbonne. L’attente va se prolonger encore pendant des mois.